Hydrocarbures : les enjeux de l’adhésion du Sénégal au cartel mondial du gaz

Le Sénégal mise beaucoup sur l'exploitation de ses gisements de gaz offshore prévue pour démarrer fin 2023 afin de stimuler sa croissance en surfant sur les perspectives prometteuses du GNL sur les marchés internationaux. (DR)

Le Sénégal est depuis le mardi 25 octobre dernier, pays membre du Forum des pays exportateurs de gaz – Gas Exporting Countries Forum (GECF) – en qualité d’observateur. Le pays qui va devenir membre à part entière dès le début de l’exploitation de ses champs gaziers en 2023, compte porter sa voie et défendre ses intérêts au sein de cette « OPEP du gaz » dont le poids géopolitique ne cesse de prendre de l’ampleur sur la scène internationale. Et ce, en raison de plusieurs enjeux stratégiques notamment ceux liés à l’exploitation des ressources naturelles face aux défis climatiques.

C’est désormais officiel. Le Sénégal est devenu le 20e pays membres du Gas Exporting Countries Forum (GECF), l’organisation mondiale des principaux pays exportateurs de gaz qui a tenu sa 24e réunion ministérielle du 16 au 25 octobre au Caire, en Egypte. Le pays de la Téranga a été certes admis pour le moment avec un statut d’observateur mais c’est déjà un pas important puisque l’exploitation de ses champs gaziers n’est prévue que pour débuter en fin juillet prochain. Cette échéance ouvrira la voie au pays afin d’entamer les procédures pour devenir membre à part entière de « l’OPEP du gaz ».

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Selon les projections du Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz (Cos-Petrogaz), la première phase d’exploitation des champs gaziers du Sénégal avec le projet Grand Tortue Ahmeyiz’m (GTA), prévue en 2023, va générer environ 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) par an, entre 2023 et 2027. Ensuite 5 millions de tonnes par an vont être extraites jusqu’en 2030, puis 10 millions de tonnes par an au-delà de 2030. Une production que le pays va partager avec son voisin mauritanien et qui sera pour l’essentiel destinée à l’exportation même si le pays dispose encore d’autres gisements en cours de développement notamment celui « Yaakar Teranga », dont la production sera destinée à satisfaire les besoins en gaz du marché domestique à partir de 2024 selon les déclarations du Président Macky Sall.

Enjeux économiques et énergétiques  

Avec cette adhésion bien avant la sortie de son premier mètre-cube de gaz et en dépit de sa modeste production, le Sénégal va pouvoir ainsi faire entendre sa voix et défendre ses intérêts au sein du cartel mondial du gaz. Le GECF, qui a été créé en 2001 à Doha, au Qatar, où se trouve son siège, et qui a été transformé en une organisation gouvernementale internationale en 2008. C’est en effet 20 pays membres dont 11 de plein droit dont des géants comme la Russie, le Qatar, l’Iran ou le Venezuela et 8 pays africains comme le Nigeria, l’Algérie ou la Lybie.

Le GECF comprend 11 pays membres : l’Algérie, la Bolivie, l’Égypte, la Guinée équatoriale, l’Iran, la Libye, le Nigéria, le Qatar, la Russie, Trinité-et-Tobago et le Venezuela. Ensemble, ces États concentrent 72 % des réserves mondiales prouvées de gaz naturel, 43% de sa production ainsi que 55 % des exportations par pipeline et près de 50 % des exportations de GNL, selon les statistiques de l’organisation. Ce qui donne à l’organisation un poids géopolitique certain et qui ne cesse de se renforcer avec les perspectives qui se profilent à l’horizon pour l’industrie du GNL, et qu’illustre l’actuelle crise énergétique mondiale. Le conflit russo-ukrainien a poussé en effet les pays occidentaux, grands consommateurs de gaz, à se tourner de plus en plus vers d’autres pays notamment d’Afrique qui recèle d’un immense potentiel en la matière, pour satisfaire leurs besoins et réduire leur dépendance au pays de Poutine. Ce qui augure d’autres nouvelles perspectives pour le GNL en Afrique avec une manne financière en vue pour les pays exportateurs qu’amplifie l’envolée des prix comme le confirme les projections sur les marchés mondiaux du gaz du rapport Africa Energy Outlook 2022 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

« Bien que les énergies renouvelables devraient représenter 80 % de la capacité ajoutée du continent d’ici 2030, l’industrialisation du continent africain reposera également sur une utilisation étendue du gaz naturel, notre scénario suggérant que la demande de gaz naturel devrait augmenter de manière exponentielle », a ainsi commenté en ce sens Mme Rita Madeira, responsable du programme Afrique au sein de l’AIE lors de sa présentation sur l’avenir du marché du gaz naturel à la deuxième édition du MSGBC Oil, Gas and Power 2022 qui s’est déroulée du 1er au 02 septembre dernier à Dakar au Sénégal.

Selon les projections, la production africaine de gaz naturel devrait atteindre environ 290 milliards de mètres cubes d’ici 2025, ce qui correspond à un taux de croissance annuel moyen de 2,7 %. Et selon les explications de l’experte de l’AIE, le potentiel de l’Afrique à offrir des contributions modestes à la croissance de la demande mondiale de gaz, qui sera principalement alimentée par le développement des récentes découvertes de gaz en Mauritanie, au Sénégal et en Namibie.

Les enjeux sont donc de taille pour le Sénégal, futur producteur qui, en plus de satisfaire les besoins de sa consommation domestique mais aussi énergétique à travers le « gas to power », pourra peser sur les décisions du GECF à travers son adhésion à l’organisation. Malgré le potentiel du GNL en Afrique qui attise de plus en plus de convoitises d’investisseurs internationaux, l’exploitation du GNL fait face à de nouveaux défis qui viennent s’ajouter à la faible capacité de liquéfaction des principaux pays producteurs du continent. Cela en raison de plans d’investissement déficients et de la lenteur du développement des projets d’infrastructure de liquéfaction.

Perspectives prometteuses et défis climatiques

Les nouveaux défis de l’industrie gazière du continent et à laquelle le Sénégal va devoir tenir compte sont particulièrement relatifs aux enjeux climatiques. Dans un rapport publié il y a quelques jours, en prélude à la COP 27, le Climate Action Tracker (CAT), un projet scientifique indépendant qui suit et évalue les mesures prises par les gouvernements pour lutter contre le changement climatique a alerté sur l’impact de ce qu’il a qualifié de « ruée vers le gaz » mondiale pour la construction d’infrastructures de production, de transport ou de traitement des combustibles fossiles, en particulier le gaz naturel liquéfié (GNL). Le rapport a souligné, entre autres, les projets de construction de nouvelles usines de GNL en Allemagne, en Italie, en Grèce et aux Pays-Bas, tandis que des pays comme les États-Unis, le Canada, le Qatar, l’Égypte et l’Algérie prévoient d’augmenter leurs exportations de GNL. Dans le même temps, le rapport a relevé que de nombreux producteurs de combustibles fossiles ont augmenté leur production, tandis que les gouvernements de plus d’une douzaine de pays développés réduisent les taxes sur la consommation de carburant ou d’énergie, encourageant ainsi leur consommation.

Une dynamique qui remet en cause les engagements des pays à se conformer aux objectifs de l’Accord de Paris sur le climat de 2015 comme l’a souligné le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, pour qui « l’idée d’augmenter la consommation de combustibles fossiles c’est à dire d’investir dans le charbon, le pétrole ou le gaz pour répondre à la crise énergétique actuelle engendrée par la guerre en Ukraine, est illusoire ».

Selon les experts, les promesses de lutte contre le changement climatique prises en novembre 2021 lors du sommet mondial sur le changement climatique (COP26) pourraient s’étioler avec la guerre que mène actuellement la Russie en Ukraine. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, au cours du dernier sommet de Glasgow sur le Climat, près de deux cents gouvernements ont signé un document qui prend en compte ces nouveaux risques et défini un nouveau programme de lutte contre ce problème mondial pour la prochaine décennie. Ils ont  en ce sens convenu de mettre à jour d’ici fin 2022, leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre tout en s’engageant à supprimer progressivement les subventions ainsi que de réduire les investissement qui facilitent la consommation des combustibles fossiles tels que le charbon, le pétrole et le gaz naturel.

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Ces dynamiques qui risquent de s’amplifier avec de nouveaux engagements lors de la COP 27 prévue en novembre au Caire en Egypte, sont de nature à ralentir cette croissance attendue du marché du GNL d’autant que les énergies renouvelables tendent de plus en plus à remplacer les énergies fossiles. Face à ces facteurs qui compromettent les exportations de GNL des pays producteurs notamment africains dont beaucoup compte pourtant s’appuyer sur leur potentiel pour accélérer leur croissance, le Sénégal a vu juste en se greffant au GECF afin notamment de défendre ses intérêts et stimuler son développement. Il va sans dire que les prochaines années, qui verront la mise sur le marché du gaz tout comme le pétrole sénégalais, les pays producteurs auront tout intérêt à conjuguer leurs efforts afin d’amplifier leur poids géopolitique et ainsi défendre leurs intérêts stratégiques tout en tenant compte des défis de l’heure. A l’image de ce que font les pays membres de l’OPEP pour l’or noir qui malgré les craintes sur l’impact de son exploitation sur le climat, continue de susciter l’attractivité des investisseurs et de faire, dans une certaine mesure, le bonheur des pays exportateurs…

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