Restructuration de la dette Tchadienne : une bouée de sauvetage pour de nombreuses économies africaines

Il faut dire que ces accords, dans la continuité de ceux conclus avec Glencore en 2018, devront permettre la poursuite du programme avec le FMI, la conclusion de la prochaine revue de la Facilite élargie de crédit (FMI) et le décaissement dune nouvelle tranche de financement au bénéfice du Tchad d’ici fin décembre 2022, après décision du Conseil d’administration du Fonds.

Après plus de deux ans de négociations et d’attente, le Tchad est enfin parvenu à un accord avec ses principaux créanciers au titre du cadre du commun du G20, une véritable bouffée d’oxygène pour l’économie du pays, le premier à bénéficier de l’initiative lancée en 2020 par plusieurs créanciers internationaux institutionnels et privés pour alléger la dette des pays pauvres. Des pays africains déjà lourdement endettés espèrent en bénéficier pour atténuer l’impact des chocs de la conjoncture économique mondiale sur leurs économies alors que les conditions d’accès aux marchés internationaux se rétrécissent, ce qui réduit davantage la marge de manœuvres des dirigeants confrontés à une amplification des défis socioéconomiques.

C’est une véritable bouffée d’oxygène pour l’économie tchadienne et une lueur d’espoir pour d’autres pays, à l’image de la Zambie et de l’Ethiopie, qui attendent depuis 2020 de bénéficier également d’un accord sur l’assouplissement de leurs dettes au titre du Cadre commun du G20. Le Tchad a attendu deux années de laborieuses négociations pour enfin parvenir à un accord pour la restructuration de sa dette extérieure avec ses principaux créanciers bilatéraux et avec le négociant suisse Glencore, le plus gros créancier privé qui détient près d’un tiers de la dette extérieure du pays, une dette contractée durant les années 2013 et 2014 dans le cadre des accords qualifiés à l’époque de « pétrole contre argent ».

Dans un communiqué de presse suite à cet accord, officialisé le 11 novembre dernier, le ministre tchadien des finances du budget et des comptes publics, Tahir Hamid Nguilin a tenu à rappeler pour s’en féliciter,  que la République du Tchad qui est le premier pays à avoir adhéré au cadre Commun pour les traitements de dette du G20 et du club de Paris, est aussi le premier pays à parvenir à un accord à ce titre, « conformément aux engagements pris auprès du Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre de son programme de Facilité élargie de crédit (FEC) et avec le soutien de la Banque Mondiale, du club de Paris et du Comité des créanciers bilatéraux officiels co-préside par la France et l’Arabie Saoudite ». Selon les détails donnés par le ministre, en plus d’être conformes aux engagements pris par le pays dans avec le FMI, les paramètres de ce traitement de la dette sont également conformes aux principes du cadre commun, et permettent de restaurer la soutenabilité de la dette publique, tout en assurant une protection contre la volatilité des prix du pétrole grâce à l’introduction de mécanismes de traitement contingent.

 « Cet accord de traitement de la dette du Tchad cadre avec les objectifs du programme appuyé par le FMI approuvé en décembre 2021. Il réduit le risque de surendettement à un moment où les perspectives économiques mondiales sont incertaines, et fournit une protection contre des risques économiques qui pourraient peser sur le Tchad, tels que la baisse des prix des produits pétroliers. Lorsqu’il sera officialisé, cet accord devrait permettre, d’ici la fin de l’année, d’achever les première et deuxième revue par le FMI de l’accord triennal au titre de la Facilité élargie de crédit en faveur du Tchad, ce qui aidera à placer l’économie du Tchad sur la voie de la croissance durable et de la réduction de la pauvreté », s’est de son côté également réjouit Kristalina Georgieva, la Directrice générale du FMI.

Il faut dire que ces accords, dans la continuité de ceux conclus avec Glencore en 2018, devront permettre la poursuite du programme avec le FMI, la conclusion de la prochaine revue de la Facilite élargie de crédit (FMI) et le décaissement dune nouvelle tranche de financement au bénéfice du Tchad d’ici fin décembre 2022, après décision du Conseil d’administration du Fonds. Les détails de l’accord passé entre Ndjamena et l’ensemble de ses créanciers ne sont pas encore connus mais d’après une source citée par l’agence de presse Reuters, ils consistent en un rééchelonnement important qui sera effectué en 2024, c’est-à-dire la dernière année où le Tchad recevra l’assistance financière du FMI. Autant dire que pour le pays, en pleine transition et qui fait face à de nombreux défis politiques, socioéconomiques et sécuritaires, cet accord constitue une véritable bouée de sauvetage dans un contexte économique mondiale encore pleins d’incertitudes.

Des initiatives d’allègement de la dette en faveur des pays pauvres endettés

L’accord obtenu par le Tchad avec ses principaux créanciers offre une fenêtre d’opportunité pour plusieurs autres pays du continent qui frappent à la même porte depuis des mois pour voir le poids de leurs dettes aussi alléger. En 2020, au plus fort de l’impact de la crise de la Covid-19 qui a amplifié les chocs sur de nombreuses économies africaines, une initiative a été lancée par plusieurs créanciers bilatéraux et multilatéraux en faveur d’un allègement à défaut d’une annulation de la dette publique et pour un rééchelonnement de la dette privée de l’Afrique. C’est ainsi qu’a vu le jour l’Initiative de suspension du service de la dette des pays dits les plus pauvres (ISSD), inspirée au Club de Paris et au G20, par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Une quarantaine de pays dont plusieurs pays africains étaient éligibles et ont ainsi pu certes garder dans leurs caisses près de 13 milliards de dollars, selon les estimations du FMI, mais l’initiative a pris fin le 31 décembre 2021 alors que trois (03) pays, parmi les plus surendettés du continent à savoir le Tchad, l’Ethiopie et la Zambie qui en ont fait la demande n’ont pas pu obtenir gain de cause. Parallèlement, les pays du G20 ont lancé en novembre de la même année, un nouveau « cadre commun pour les traitements de la dette au-delà de l’ISSD » qui prévoit un engagement à « plus de transparence  et à une comparabilité de traitement », c’est-à-dire que tous les créanciers, publics et privés, doivent accepter de faire un effort équivalent sans que toutefois, rien n’oblige les créanciers privés qui sont les moins enclins à abandonner leurs dettes, à s’y rallier. C’est dans ce cadre que le Tchad a pu parvenir à conclure son accord avec ses principaux créanciers, ce qui offre une lueur d’espoir aux autres pays candidats d’autant que, entre temps, plusieurs autres économies sont venus s’ajouter à la liste des pays à fort risque d’endettement.

Le poids de la dette, un fardeau de plus pour de nombreuses économies fortement impactées par les crises

Il faut dire qu’alors que les pays d’Afrique subsaharienne semblaient emprunter la voie d’une reprise vigoureuse, au sortir d’une longue pandémie, fin 2021, « cette amélioration a été brutalement interrompue par une série de bouleversements sur les marchés internationaux, ce qui exerce de nouvelles pressions sur les dirigeants de la région », comme l’a relevé le FMI dans son dernier rapport sur les Perspectives économiques régionales pour la région, d’octobre dernier. En plus du choc de la Covid-19, les économies africaines ont été affectés par l’aggravation de l’insécurité alimentaire qui a été amplifiée par la guerre en Ukraine ainsi qu’un ralentissement de l’économie mondiale du fait de l’incertitude qui prévaut sur les marchés internationaux.

Selon Abebe Aemro Selassie, directeur du département Afrique du FMI, les récents bouleversements qui s’ajoutent à la série de chocs subis ces dernières années, ont tous réduis la marge d’action des autorités de la région. La dette publique a atteint environ 60 % du PIB, soit un niveau d’endettement que la région n’avait pas connu depuis le début des années 2000. La part des fonds privés à coût plus élevé a augmenté dans la composition de la dette, avec pour conséquences une hausse des coûts du service de la dette et un accroissement des risques de refinancement. De fait, 19 des 35 pays à faible revenu de la région se trouvent en situation de surendettement ou présentent un risque élevé de surendettement.

Dans le contexte actuel de ralentissement attendu de l’activité économique africaine et des perspectives peu dynamiques projetées à court terme, M. Selassie a estimé, entre autres priorités pour l’action publique dans la région la nécessité pour les pays de la région de continuer à veiller à consolider leurs finances publiques afin de préserver leur viabilité budgétaire, à plus forte raison dans le contexte actuel de hausse des taux d’intérêt. Des cadres budgétaires à moyen terme crédibles, y compris pour la gestion efficace de la dette, peuvent en ce sens contribuer à réduire les coûts d’emprunt et pour certains pays présentant de fortes vulnérabilités liées à la dette, « une restructuration ou un rééchelonnement de la dette pourrait s’imposer, ce qui met en évidence la nécessité d’améliorer la mise en œuvre du cadre commun du G20 ».

En 2022, en effet et selon les estimations de l’institution de Breton Woods, la dette devrait rester élevée en Afrique subsaharienne, à 58,6 % du PIB. Les gouvernements africains ont consacré 16,5 % de leurs recettes au service de la dette extérieure en 2021, contre moins de 5 % en 2010. Ce chiffre cache par ailleurs des disparités importantes, puisque des pays comme l’Angola, la Zambie, le Ghana, ou le Gabon consacrent plus de 40% de leurs recettes au remboursement de la dette externe avec plus de 60% pour l’Angola et si la tendance se poursuit, le Nigeria devrait par exemple consacrer plus de 130% de son PIB au remboursement des services de la dette à l’horizon 2026 !

Selon toujours les mêmes estimations, 38 pays considérés comme pauvres de la région sont actuellement en situation de surendettement, et 14 risquent fortement de les rejoindre. Par ailleurs, dans un contexte de coûts d’emprunt élevés, il devient difficile d’emprunter sur les marchés nationaux et internationaux, tandis que le resserrement des conditions financières mondiales affaiblit les monnaies et augmente le coût des emprunts externes pour les pays africains. La conjoncture macro-économique mondiale risque en effet de noircir encore plus le tableau avec les remontées de taux d’intérêts décrétées par les banques centrales occidentales pour lutter contre l’inflation, et en particulier par la Réserve fédérale américaine, qui ont fait grimper le dollar par rapport aux monnaies locales africaines, rendant le remboursement de dettes libellées en dollar encore plus coûteux. Si la monnaie de certains pays exportateurs d’hydrocarbures résiste, d’autres marquent le pas comme le rand sud-africain qui a par exemple cédé 10% de sa valeur par rapport au dollar sur les trois derniers mois alors que pour le cédi ghanéen, la baisse a atteint même 25% sur la même période.

L’allégement de la dette, une mesure vitale pour de nombreux pays africains

Face à cette situation qui risque d’atténuer l’impact des efforts consentis par les économies africaines ces dernières années pour sortir de la pauvreté et qui réduit la marge de manœuvres des gouvernants à soutenir les populations les plus vulnérables qui sont les plus affectées par l’amplification des chocs, il y a nécessité d’agir. L’allègement de la dette des pays qui en ont le plus besoin est devenue même une urgence vitale pour certains pays comme l’a récemment déclaré le ministre zambien des Finances Situmbeko Musokotwane.  » Notre capacité à participer à l’économie mondiale est limitée. Tout ce que nous pouvons faire est d’exhorter nos partenaires, les créanciers, à considérer cela comme une question d’urgence. C’est ce que nous demandons. De la rapidité, de la rapidité, de la rapidité, voilà ce dont nous avons besoin « , a-t-il déclaré alors que son pays, avec l’aide du FMI, continue toujours les négociations pour parvenir à un accord pour la restructuration de sa dette dans le cadre du cadre commun du G20.

Il faut dire qu’en dépit de l’urgence, la mise en œuvre effective du cadre piétine comme l’atteste le fait que seul le Tchad a jusque-là pu en bénéficier. C’est pourquoi du reste pourquoi, le FMI qui accompagne la plupart des économies africaines dans leurs stratégies de réformes structurelles et de relance économiques, se fait de plus en plus l’avocat des gouvernements africains pour exhorter les créanciers à accélérer l’allègement de la dette car les retards limitent la croissance sur un continent confronté à toute une série de défis, de la forte inflation à l’insécurité alimentaire. L’un des facteurs qui retardaient le processus était jusque-là la réticence de certains créanciers importants comme la Chine, à se joindre au Comité.

Aussi, avait expliqué en avril dernier, la directrice du FMI Kristalina Georgieva, la mise en œuvre du cadre commun piétine car il n’y a « pas de procédure, ni d’échéancier clairement établis », et aussi du fait « qu’il n’y a aucune incitation pour les pays à intervenir et à demander «  la restructuration de la dette dans ce cadre. Elle avait toutefois souligné qu’y renoncer n’était pas une solution car il n’y a pas d’alternative pour mobiliser les pays sur l’allègement de la dette des pays à faibles revenus et depuis, les choses semblent évoluer et en octobre dernier lors des dernières Assemblées générales du FMI et de la Banque mondiale, Nadia Calvino, présidente du Comité monétaire et financier international (CMFI), l’instance qui oriente les travaux du FMI, a indiqué « qu’ il y a eu un engagement unanime à renforcer le cadre commun pour le rendre opérationnel et à essayer d’avoir un calendrier concret, clair, grâce à l’engagement fort de certains acteurs clés  » comme la Chine. « Nous avons travaillé d’arrache-pied pour que tous les créanciers s’assoient autour de la table, les créanciers du Club de Paris …, les créanciers officiels comme la Chine, l’Arabie saoudite, l’Inde, les Émirats arabes unis et les créanciers du secteur privé « , avait ajouté Kristalina Georgieva.

Des pistes pour faire du Tchad, une expérience réussie et un modèle pour les autres pays

L’accord dont vient de bénéficier le Tchad s’annonce donc de bon augure pour les économies africaines surtout compte tenu du resserrement de la marge de manœuvre dont disposent les pays fortement endettés qui peuvent s’attendre à parvenir à des accords les prochains mois pour dégager des marges de manœuvres budgétaires nécessaires pour atténuer les chocs et poursuivre leurs efforts de lutte contre la pauvreté.

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Comme il a été le premier à en bénéficier, la réussite de l’expérience au Tchad va certainement déterminer l’efficacité du nouveau mécanisme. Malgré certaines inquiétudes sur ce point, le FMI estime que le cadre peut et doit tenir ses promesses plus rapidement. En ce sens, plusieurs pistes ont été identifiées comme la garantie d’atteindre les objectifs visés. Il s’agit, premièrement, de clarifier les différentes étapes et échéances du processus lié au cadre commun car comme l’estime le Fonds, conjugué à un rapprochement plus précoce des créanciers officiels avec le pays débiteur et les créanciers privés, cet éclaircissement contribuerait à accélérer les prises de décisions. Deuxièmement, une suspension totale et ininterrompue du service de la dette pendant la durée des négociations permettrait de soulager le pays débiteur au cours d’une période difficile, en même temps qu’elle inciterait à accélérer les procédures afin de parvenir à l’accord de restructuration proprement dit. Troisièmement, le cadre commun doit mieux préciser les modalités d’application de l’obligation de traitement comparable, y compris, si nécessaire, en mettant en œuvre les politiques du FMI relatives aux arriérés, afin que créanciers et débiteurs se sentent davantage en confiance. Et enfin, quatrièmement, et c’est important, le cadre commun doit être étendu à d’autres pays fortement endettés qui peuvent bénéficier d’une action coordonnée des créanciers. Une résolution de la dette rapide et ordonnée est dans l’intérêt des créanciers et des débiteurs.

« En plus d’être bénéfique pour les pays concernés, un traitement efficace des premiers dossiers renforcera la confiance accordée au cadre commun », a plaidé la Directrice générale du FMI qui sur ce point, estime « qu’une restructuration rapide de la dette du Tchad agira comme un précédent essentiel pour d’autres pays ». En Éthiopie, poursuit Kristalina Georgieva, le Comité des créanciers doit poursuivre le travail technique qui permettra d’apporter de premières garanties relatives à l’allègement de dette une fois la situation stabilisée alors qu’en Zambie, les créanciers du G20 doivent former un comité de créanciers officiels dans les meilleurs délais et se mettre en relation avec les autorités et les créanciers privés s’agissant de l’allègement de dette, tout en suspendant temporairement les remboursements pendant la durée des discussions relatives à la restructuration. « Si ce n’est pas le cas, le pays pourrait se retrouver confronté au dilemme intenable entre réduction des dépenses prioritaires et accumulation d’arriérés » prévient le FMI pour qui « les difficultés liées à la dette se font pressantes et il est urgent d’agir ».

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