Chronique : rétrospective 2022 – La ZLECAF, un démarrage en catimini

Courant 2022, les avancées restent encore très timides. Accra a certes abrité, le 07 octobre 2022, une rencontre qui a réuni 7 pays (Cameroun, Egypte, Kenya, Ile Maurice, Ghana, Rwanda, Tunisie), représentant les 5 régions du fameux puzzle, où 9 catégories de produits ont été annoncées comme entrant dans le régime du marché unique.

Deux ans après son entrée en vigueur, la ZLECAf (Zone de Libre-Echange continentale africaine) reste loin des objectifs fixés à fin 2022. Actuellement, le commerce intra-africain tourne à peine autour de 16%. La dernière rencontre, le 07 octobre 2022, à l’aéroport de Kotoko à Accra au Ghana, n’a fourni qu’un timide booste.

L’Afrique ambitionne de mettre en place un marché unifié, effacer ses 90 000 km de frontières. Toutefois la tâche ne sera pas aisée. Justement, le logo de la Zone de Libre-Echange continentale Africaine (ZLECAf) est un puzzle, composé de 5 pièces. Les desseins sont clairs et portent sur la multiplication de transactions commerciales en son sein. L’objectif est de créer un marché continental unique des biens et services pour stimuler le commerce intra-africain, la croissance économique et le développement, donc profiter d’un marché de 54 Etats pour 1,3 milliard de consommateurs et d’un PIB cumulé de plus de 2 500 milliards d’euros. Après un long processus depuis 2012, la ZLECAf a été lancé le 21 mars 2018, à Kigali (Rwanda), la grande majorité des États membres de l’Union africaine (UA) ont signé l’accord. La ZLECAf vise depuis lors, de nombreux États membres qui ont également ratifié l’Accord, entré en vigueur le 1er janvier 2021, après le report en 2019 dû à la Covid-19. Si aujourd’hui, les 54 pays ont signé, la totalité n’a pas encore ratifié la convention. Le ratio toure autour de 81%.

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Courant 2022, les avancées restent encore très timides. Accra a certes abrité, le 07 octobre 2022, une rencontre qui a réuni 7 pays (Cameroun, Egypte, Kenya, Ile Maurice, Ghana, Rwanda, Tunisie), représentant les 5 régions du fameux puzzle, où 9 catégories de produits ont été annoncées comme entrant dans le régime du marché unique. Il s’agit du thé, du café, du sucre de glucose, de produits transformés à base de viande, des carreaux de céramique, de l’amidon de maïs, des pâtes, des fruits secs et des fibres de sisal. Quant au développement industriel, Equity Group s’engage à mettre sur la table 6 milliards de dollars. Mais à quel prix ?

Co-développement ou conquête de marchés de consommateurs

Les observateurs mettent le doigt sur une certaine précipitation de pays plus nantis que d’autres. En effet, les premiers veulent accélérer le processus. Ils ont notamment déjà résolu l’harmonisation de leur outil industriel aux standards internationaux de qualité, réussi une intégration de plusieurs lignes de produits exportables, une logistique aux normes avec des milliers de km d’autoroutes et de voies expresses, mais aussi entamé une série d’innovations dont celle thérapeutique, adopté des lois sur la liberté des prix et de la concurrence (grâce à l’affichage obligatoire, le marché régule) …

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Doit-on oublier qu’à côté de mastodontes, tels que l’Afrique du Sud, le Nigéria – qui traîne les pieds pour ratifier- ou l’Egypte, le continent compte un certain nombre de pays PMA (Pays moins avancés), voire de PPTE (Pays pauvres très endettés) ? Des nations où l’informel domine l’économie, à hauteur de 80%, avec un maillage autoroutier ridicule ne dépassant pas 200 km, comparé aux 4 000 km en Algérie, un chemin de fer moribond qui n’est pas à l’écartement standard et hérité de la colonisation, une disponibilité et un approvisionnement aux utilités (eau, électricité, assainissement, connexion internet) qui laissent à désirer, etc. Le développement du secteur tertiaire, inventer de nouveaux capitaines d’industries performantes, réduire les tracasseries administratives, atténuer les contrôles de change… constituent des préalables, dont on ne saurait faire l’économie. 

L’ambition des nations leaders rejoint celle des architectes de la ZLECAf. Sur la plateforme tradebarriers.africa, il est possible de porter plaintes pour dénoncer toute barrière non tarifaire. Il est fort probable que ce mécanisme de rapport, de suivi et d’élimination des barrières non tarifaires soit efficace, face à la multiplicité des tracasseries administratives, des blocages aux frontières (souvent les contrôles de gendarmerie, de police et de douane ne sont séparés que de quelques mètres). Les signalements, avec le maximum de précisions et de caractéristiques (lieu, date, produit…) peuvent être faits en ligne et bientôt par mobile. Gageons que les pays, prétendus fournisseurs pourront allègrement planter le site. Quant aux mesures de sauvegarde des économies, elles augurent déjà d’âpres moments d’arbitrage.  

Avoir les moyens de ses ambitions pour la ZLECAF

Pour accélérer les échanges commerciaux et les investissements, il faut des moyens financiers. Aussi, dans un marché unifié, tous les pays doivent pouvoir y tirer leur épingle du jeu. Or un grand nombre d’Etats parmi ceux qui se sont empressés de ratifier l’Accord, se positionnent en fournisseurs d’un marché composé de 80% de consommateurs. Cette approche est éloignée du co-développement, prôné par la ZLECAf. L’échange présuppose, « vendre » mais aussi « acheter ». A défaut de mettre la charrue avant les bœufs ou de créer plus de pauvreté en Afrique, il est impératif de mettre en place un système d’accompagnement pour atteindre des standards de qualité, une certaine péréquation des manques à gagner. D’abord, il est nécessaire d’aider à organiser le secteur privé par pays, lancer des programmes d’appui aux associations professionnelles, d’assistance aux institutions de garantie, générer des banques de développement et d’investissement ou autres véhicules financiers africains.

Dans ce sens, une récente enquête sur le financement du commerce en Afrique et son évolution durant la pandémie de Covid-19, initiée par la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), en collaboration avec la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA-ONU), la Banque africaine de développement (BAD) et Making Finance Work for Africa Partnership (MFW4A), a été publié dans un rapport. Pour le Professeur Benedict Oramah, président d’Afreximbank, l’étude, qui a porté sur 185 banques africaines, représentant 58 % du total des actifs détenus par les banques du continent et portant sur janvier et avril 2020, permet de comprendre le financement du commerce en Afrique et son évolution durant la pandémie de Covid-19. Avouons qu’alors l’offre de financement du commerce a été affectée par, à la fois, la pandémie et le resserrement consécutif des conditions de financement, des pressions accrues sur la balance des paiements et des contraintes de liquidités. Le nombre de relations avec des correspondants bancaires a diminué dans toute la région et le rejet des demandes de lettres de crédit a augmenté, d’environ 38% pour les banques locales / privées et de 30% pour les banques étrangères signalant une augmentation des taux de rejet.

Ce rapport soulignait, entre autres, que sur un volume total du commerce africain à 1 077 milliards de dollars, les banques n’en assuraient l’intermédiation qu’à hauteur de 417 milliards de dollars, soit environ 40 %, alors que la moyenne mondiale est de 80 %… L’appel a été en faveur d’un meilleur dialogue entre les banques centrales et l’industrie, l’essor de la numérisation et de l’adoption des technologies, ainsi que l’accès à de meilleures données pour mieux comprendre et évaluer les risques.

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Enfin, sur un continent qui dispose d’un linéaire littoral de 26 000 km et comprend un certain nombre de pays de l’hinterland, la prise en compte du développement portuaire est importante dans le cadre d’un marché unique. Pr Najib Cherfaoui, Expert portuaire et maritime, rappelait récemment l’existence de 176 ports de commerce dont il convient de faire un système cohérent au service de la zone de libre-échange continentale africaine. Des chantiers sont en cours. Dans ce cadre, il convient d’initier le renforcement et la mobilisation coordonnée des ressources maritimes, notamment en termes de capacité des flottes de navires de commerce., sachant que 18 armateurs opèrent des dessertes maritimes sur les ports d’Afrique. Si certains ports africains jouent des rôles de hubs pour approvisionner les pays enclavés, d’autres se concentrent sur des missions nationales. Ce constat peut aussi être fait sur le routier et l’aérien, où des carences en termes de linéaire express ou de dessertes point à point est à déplorer. Quoiqu’il en soit la volonté existe, il reste à toutes les nations de jouer le jeu, à défaut de faire de la ZLECAf un mort-né.

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