Contentieux Tchad-Savanah Energy: jusqu’où ira la crise entre Ndjamena et Yaoundé ?

A N'djamena, les autorités mettent en avant, une question de « souveraineté » pour le pays. Pour le Tchad, en effet, le secteur des hydrocarbures est vital puisqu'il représentait plus de 11% de son PIB  et 80% de la valeur de ses exportations en 2020. ( De gauche à droite : Mahamat Déby, Paul Biya).

Plus de 72h après le rappel par Ndjamena, de son ambassadeur au Cameroun, Yaoundé n’a pas encore réagi aux accusations des autorités tchadiennes dans le contentieux qui les oppose à Savanah Energy PLC. A travers cette décision, Ndjamena s’insurge de la cession des 10% des parts de la compagnie qui gère le pipeline d’exportation du pétrole entre les deux pays à la Société nationale des hydrocarbures camerounaise alors que le pays a engagé une procédure de nationalisation d’Esso Tchad, filiale locale de la société américaine Exxon Mobil, après que les autorités tchadiennes se sont opposées à son rachat par Savanah Energy. Les deux pays voisins ont pourtant tout intérêt à accorder leurs violons au regard de la menace qui pèse sur les intérêts stratégiques que tirent leurs économies si la tension perdure alors que l’affaire est désormais portée devant un tribunal arbitral.

Le contentieux entre l’Etat du Tchad et Savannah Energy PLC. est en train de virer à la crise diplomatique entre N’djaména et Yaoundé. Jeudi 20 avril dernier, la Présidence tchadienne a fait savoir par un communiqué qu’en raison des différends persistants avec son voisin, le Cameroun, il a décidé de rappeler pour consultation son ambassadeur à Yaoundé. Selon le communiqué, la décision est motivée par « la persistance des différends entre le Tchad et le Cameroun, notamment autour de la question de la prétendue acquisition des actifs de l’ex-ESSO (ex-filiale du géant américain des hydrocarbures ExxonMobil) par la nébuleuse Savannah Energy ».  N’djaména a ainsi déploré que  « par tous les canaux de communication existant entre le Tchad et le Cameroun, la question a été soumise à l’attention du Cameroun, tout en l’informant également des agissements inamicaux et contraires aux intérêts du Tchad posés par ses représentants dans les conseils d’administration de Cameroun Oil Transportation Company S.A (COTCO) et Tchad Oil Transportation Co. (TOTCO). Plusieurs lettres de suite ont été adressées aux autorités camerounaises, lettres qui sont restées sans réponses ». Aussi, poursuit le communiqué, « le Tchad se trouve dans l’obligation de défendre ses intérêts et sa respectabilité et dénonce les agissements répétés du Cameroun et de ses représentants qui mettent à mal, dans ces dossiers et au sein de la Communauté monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), les relations entre les deux pays ».

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Plus de 72h après l’annonce de cette décision des autorités tchadiennes, le gouvernement camerounais n’a pas officiellement réagit. Contacté par les médias, le ministre camerounais des Affaires étrangères, Mbella Mbella Lejeune a juste indiqué que Yaoundé a «pris acte» de la décision des autorités tchadiennes.

Les dessous d’un bras de fer qui ne fait que commencer

Pour comprendre les dessous de cette crise diplomatique, il faut remonter à décembre 2022 lorsque  Exxon Mobil qui assure le transport du pétrole tchadien du champ de Doba jusqu’à Kribi au Cameroun, à travers un pipeline de 903 kilomètres, avait annoncé avoir vendu ses parts à la société Savannah. Une transaction estimée à 250 milliards de francs CFA  soit 381 millions d’euros, à laquelle le Tchad s’est opposé arguant que la société  ne « dispose pas de capacités ni de garanties demandées par le Tchad », comme rapporté dans le communiqué du conseil extraordinaire des ministres du 27 mars dernier qui a statué sur la question. Le gouvernement tchadien qui dit avoir émis  « des réserves et des objections à cette cession car le pétrole est un domaine stratégique pour le Tchad représentant plus de 80 % des recettes d’exportation », a par la suite décidé de nationaliser la société Esso, une décision validée par la suite et à l’unanimité par le Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif du pays, avant d’être  promulgué, fin mars, par le président Mahamat Idriss Deby.

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Face à cette décision des autorités tchadiennes, Savannah Energy a décidé de porter l’affaire devant un tribunal arbitral. Entre temps, le contentieux s’est transporté au niveau des deux sociétés créées, au Cameroun (Cotco) et au Tchad (Totco), pour la gestion de l’oléoduc de transport du pétrole tchadien via le territoire camerounais. Dans le cadre du processus de nationalisation qu’il a lancé, le gouvernement tchadien a annoncé sa décision d’acquérir « de commun accord », les 30 % des parts de la compagnie Malaisienne Pétronas, qui, avec Exxon et l’Etat tchadien, cogéraient le secteur pétrolier du pays. En ce sens, Ndjamena dit avoir sollicité via la CEMAC , les avis des ministres du Commerce de tous les pays de la sous-région, conformément aux lois communautaires. « Plus d’un mois après, seul le Cameroun n’a pas répondu à l’avis de non-objection adressée par la CEMAC », a dénoncé le Tchad pour qui, il s’agit de la seule réponse qui devrait, à terme, permettre à Ndjamena de poursuivre l’acquisition des parts de Pétronas. En outre, le Tchad s’est offusqué du fait qu’après plusieurs relances, les autorités de Yaoundé soit resté muettes sur le sujet bien qu’elles aient été informé « des agissements inamicaux et contraires aux intérêts du Tchad, posé par ses représentants au conseil d’administration de Cotco/Totco ». C’est dans ce contexte que le gouvernement dit avoir appris le 20 avril 2023, « par voie de presse, la signature d’un accord prévoyant la cession par une filiale de Savannah Energy PLC de 10 % du capital social de Cotco, en contradiction avec les conventions et les statuts de COTCO, à la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) du Cameroun ». Pour le Tchad, donc, le Cameroun a finalisé avec Savanah Energy, l’opération de rachat de 10 % de ses parts dans Cotco, avec qui il est en froid dans le cadre du contentieux porté devant les tribunaux, ce qui constitue les raisons de l’incompréhension et de l’irritation de N’djamena. Selon plusieurs sources proches du dossier, l’opération a été conclue  pour un montant de 44,9 millions de dollars, soit environ 26 milliards de francs CFA.

Des intérêts stratégiques partagés

Ce nouveau rebondissement dans l’Affaire Etat du Tchad contre Savanah Energy PLC risque de compliquer davantage la procédure arbitrale en cours notamment sur le montant des indemnisations que pourrait réclamer la britannique. A N’djamena, les autorités mettent en avant, une question de « souveraineté » pour le pays. Pour le Tchad, en effet, le secteur des hydrocarbures est vital puisqu’il représentait plus de 11% de son PIB  et 80% de la valeur de ses exportations en 2020. Cependant, les autorités savent aussi qu’ils marchent sur des œufs puisque l’économie du pays d’Afrique centrale dépend en grande partie de son grand voisin puisque le Tchad dépend majoritairement du port de Douala au Cameroun pour ses importations, qui représentent selon les statistiques officielles, près de 80 % d’entrées de marchandises sur son territoire tchadien. Pour les hydrocarbures, N’Djamena dépend aussi à 100 % du Cameroun pour l’exportation de son pétrole qui transite par une base flottante à Kribi dans le sud du pays via l’oléoduc construit entre les deux pays. Une infrastructure qui génère également de substantielles royalties pour le Cameroun. En 2022, le gestionnaire coté Cameroun, Cotco, a annoncé  avoir transporté le pétrole brut tchadien pour une valeur estimée à 4,5 milliards de dollars en 2022 soit près de 2700 milliards de francs CFA. Et dans son rapport du premier semestre de la même année, Cotco rapporte que le Cameroun a engrangé 18,6 milliards de francs CFA de droit de transit du pétrole tchadien.

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Des intérêts communs qui viennent s’ajouter à d’autres dans les domaines sécuritaires notamment la lutte contre Boko Haram. Les deux pays sont certes loin de la crise diplomatique et, de l’avis de plusieurs analystes, Ndjaména tout comme Yaoundé n’ont aucun bénéfice à faire perdurer cette crise. Dans la capitale camerounaise tout comme pour certains spécialistes de la question, à travers cette décision, les autorités tchadiennes visent plus à mettre la pression sur leurs homologues camerounaises et surtout, impliqué le Palais d’Etoudi dans cette crise qui s’annonce comme un chemin de croix pour Ndjamena. Le contentieux avec Savanah Energy PLC s’annonce, en effet, très sensible et les autorités tchadiennes vont devoir manœuvrer avec tact pour sortir de cette affaire sans trop de casse pour ses finances alors que sont économie s’appuie beaucoup sur la rente pétrolière pour sortir de la crise dans laquelle elle était engluée depuis des années et dont le pays peine à sortir après avoir beaucoup souffert d’un autre et couteux accord avec Gleencore.

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