Interview | Aziz Son : le civisme fiscal, la simplication des procédures et le renforcement du contrôle sont les clés d’un meilleur recouvrement fiscal en Afrique

La majorité des pays ont déjà beaucoup mal à collecter l’impôt auprès des entreprises formalisées qui disposent de comptabilité permettant de faire l’état du patrimoine desdites entreprises. Pour les personnes physiques la détermination de la base imposable s’avère beaucoup plus complexe aux regards des moyens techniques et humains dont disposent les administrations fiscales. ( Par Abdoul Aziz Son : Fiscaliste et spécialiste de l’Afrique Subsaharienne

Abdoul Aziz Son : Fiscaliste et spécialiste de l’Afrique Subsaharienne

La faiblesse des recettes fiscales est l’un des talons d’Achille des économies africaines. Le taux de collecte des recettes atteignent à peine les 15% du PIB en Afrique (selon les chiffres de la CEA) contre le triple dans les pays développés. De ces recettes, la part de l’impôt sur le patrimoine reste marginale. A coût de réformes, certaines économies africaines parviennent à engranger d’avantages de recettes fiscales que d’autres. Dans cet entretien, Abdoul Aziz Son, fiscaliste, spécialiste de l’Afrique subsaharienne nous livre son analyse des difficultés liées au recouvrement fiscal, des défis et surtout des opportunités offertes par le développement du numérique ainsi que des pistes pour améliorer le taux de recouvrement fiscal en Afrique.

AFRICA INCOME :  L’Afrique est considérée comme le Continent où le niveau de recouvrement fiscal est le plus faible. Déjà en 2019, une étude de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA) a montré que les revenus publics issus de l’impôt représentent 15% du PIB, contre plus de 45% pour un pays comme la France (selon les chiffres de l’OCDE en 2022). Quelles sont les principales dispositions que peuvent prendre les pays africains pour améliorer le poids des recettes fiscales sur le PIB ?

ABDOUL AZIZ SON : Pour améliorer les recettes fiscales, il faudrait déjà au niveau national améliorer le civisme fiscal, simplifier les procédures fiscales et renforcer les moyens de contrôle de l’administration fiscale. Quand on voit que le secteur informel, avec son corollaire de faible bancarisation, occupent une grande place dans les économies des pays africains cela pose également un grand problème pour la mobilisation des ressources. Il faudrait à mon avis accompagner les contribuables dans la formalisation de leurs entreprises, accroitre l’éducation fiscales de ses derniers et promouvoir le recours aux banques et autres institution financière pour tous paiements afin d’éviter la circulation illicite de cash qui est un facteur aggravant des fraudes fiscales. Au niveau international, aussi bien au niveau des Nation Unies que l’OCDE/G20 à travers le Cadre Inclusif sur le projet BEPS, des travaux sont en cours et des solutions ont déjà été proposées pour éviter l’érosion des bases fiscale et le transfert illicite de bénéfices dans un contexte de digitalisation de l’économie. La mise en œuvre de ses solutions pourrait dans une certaine mesure accroitre les recettes fiscales au près des multinationales intervenant dans les différents pays.

De ces recettes fiscales, la part de l’impôt sur les patrimoines reste marginale. L’Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria sont parmi les rares pays qui agissent pour faire payer cette catégorie de contribuables en Afrique subsaharienne. Comment expliquez-vous ces disparités et l’inaction des autres pays ?

Je ne parlerais pas forcément d’inactivité mais plutôt de différent niveau de priorité dans beaucoup de cas et aussi de complexité d’administration de l’impôt sur le patrimoine en général. La majorité des pays ont déjà beaucoup mal à collecter l’impôt auprès des entreprises formalisées qui disposent de comptabilité permettant de faire l’état du patrimoine desdites entreprises. Pour les personnes physiques la détermination de la base imposable s’avère beaucoup plus complexe aux regards des moyens techniques et humains dont disposent les administrations fiscales. Certains pays comme la Cote d’Ivoire et le Gabon par exemple ont opté pour un impôt sur le revenu global des personnes physiques (revenu foncier, revenu des valeur immobilière, plus-values, etc.). Dans la pratique cet impôt s’applique principalement aux salariés ou est suspendu dans le cas de la Côte d’Ivoire (article 255 du Code Général des impôts). L’option la plus répandue est de taxer des éléments précis du patrimoine comme les biens immobiliers, les véhicules en fonction de leur puissance fiscale ou tout autre bien considéré comme pouvant refléter la richesse du propriétaire.

En Afrique, le secteur immobilier est en pleine croissance, comment créer un système efficace de taxation spécifique adaptée au patrimoine immobilier ?

La grande majorité des pays Africains ont déjà dans leur dispositif législatif un impôt sur les biens immobiliers qui s’applique sur la valeur de ces biens aussi bien en tant que propriétaire qu’au moment du transfert de propriété. Les difficultés majeures résident dans le fait de répertorier tous ces biens, déterminer leur valeur réelle et enfin d’en déterminer les propriétaires effectifs. Je pense également qu’un taux progressif en lieu et place d’un taux fixe applicable à tous les contribuables comme c’est le cas dans la majorité des pays rendrait l’impôt plus équitable et efficace.

Avez-vous en tête des modèles réussis dans des pays sur lesquels les pays africains peuvent s’inspirer pour un recouvrement optimal des taxes sur les patrimoines immobilier ?

Je ne vais pas citer de pays mais beaucoup de pays ont déjà adopté les mesures législatives et ont aussi amélioré le cadastre fiscal. Bien que des efforts soient faits dans ce sens, l’urbanisation galopante des villes africaines n’est pas de nature à faciliter cette tâche. De plus, la détermination de la valeur administrative des biens immobiliers nécessite des moyens humains et techniques assez conséquents. Les critères d’évaluation sont également de nature à créer de nombreux différends. Des commissions mixtes de règlement, dérogatoire du système judiciaire « traditionnel », en charge de ces litiges sont déjà présents dans de nombreux pays. Les procédures de saisine et les délais de traitements des dossiers reste des points susceptibles d’amélioration pour plus d’efficacité de ces moyens alternatif de règlement des différends. La dématérialisation des procédures facilite également de plus en plus les échanges d’information entre les autorités en charges de l’attribution des titres de propriété et l’administration fiscale. Je pense qu’au niveau législatif les pays sont plutôt bien outillés, le reste est plus une question de volonté des organes de mise en œuvre.

Juste après la pandémie 2020, le Forum sur l’administration fiscale africaine (ATAF) a incité les pays africains à mettre l’accent sur numérique dans les systèmes de recouvrement fiscal. Quel rôle doit jouer le développement du numérique dans l’amélioration du recouvrement fiscal en Afrique ?

Le développement du numérique doit pouvoir rapprocher le contribuable de l’administration fiscale, faciliter les procédures et favoriser également la traçabilité des opérations et le contrôle fiscale. La Pandémie du COVID-19 a permis d’accroitre le recours au numérique. On a assisté à une simplification des systèmes de déclaration et de paiement, évitant de par la même occasion les longues files d’attente. De plus l’élimination des interactions humaines réduit considérablement le risque de manouvre frauduleuses qui pourraient en résulter. L’automatisation de certaines taches permet également de rendre plus efficace le travail des agents de l’administration fiscale les permettant ainsi de se focaliser sur des tâches beaucoup plus techniques.

Propos recueillis par Maimouna DIA

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