Nigeria: les priorités et défis économiques du nouveau Président Bola Tinubu

Après deux mandats, c'est un géant aux pieds d'argile que le désormais ex-président a légué à Ahmed Bola Tinubu, investi lundi 29 mai à Abuja, la capitale fédérale, comme 16e président de la plus grande économie et du pays le plus peuplé d'Afrique. (Crédit : Dr).

Investi le lundi 29 mai dernier comme 16e Président de la République Fédérale du Nigeria, le Président Bola Ahmed Tinubu prend les rênes du pouvoir de la première puissance et plus peuplé pays d’Afrique frappé depuis plusieurs années par de multiples crises : insécurité, chômage des jeunes, marasme économique et corruption galopante. Un lourd héritage légué par son successeur Muhammadu Buhari qu’il va devoir gérer en misant sur le potentiel dont ne manque pas le géant nigérian et pour lequel, le leadership en matière de gestion dont il fait preuve lorsqu’il était gouverneur du puissant état de Lagos (1999- 2007) lui sera d’un précieux atout pour définir les priorités de l’heure et remettre l’économie du pays sur les rails. D’autant que malgré les difficultés conjoncturelles, le pays dispose de véritable atouts stratégiques pour confirmer son statut de véritable puissance économique du continent, actuellement classé à la 25e place au monde en terme de PIB.

L’élection encore contestée du candidat de l’APC lors de la présidentielle du 25 février 2023 a été une grande surprise pour bon nombre de nigérians mais aussi ailleurs. Bien qu’il soit l’un des principaux favoris, le dauphin du président sortant Muhammadu Buhari trainait comme un boulet le lourd bilan de son prédécesseur dont les résultats étaient loin de l’espoir qu’il a suscité lors de son arrivée au pouvoir en 2015. Après deux mandats, c’est un géant aux pieds d’argile que le désormais ex-président a légué à Ahmed Bola Tinubu, investi lundi 29 mai à Abuja, la capitale fédérale, comme 16e président de la plus grande économie et du pays le plus peuplé d’Afrique. La cérémonie d’investiture s’est déroulée en grande pompe avec la présence de près d’une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernement, principalement du continent, ainsi qu’une centaine de délégations venues de tous les pays du monde. Une preuve du poids que jouit encore le pays dans la géopolitique régionale mais aussi du vent d’espoir qui souffle de nouveau pour l’avenir de ce mastodonte de l’Afrique de l’ouest, classé au 25e rang des puissances économiques mondiales.

Le lourd héritage de l’ancien président Muhammadu Buhari

Le pays que le nouveau président nigérian hérite en cette fin mois de mai 2023 ne fait pas figure de bonne mine notamment sur le plan économique avec une inflation à deux chiffres, des salaires misérables, une pénurie d’argent liquide et de carburant ainsi qu’un endettement extérieur qui atteint des proportions inquiétantes. A la décharge de Buhari, ses deux mandats de 8 ans n’ont pas été des plus favorables. Confronté à une insécurité ambiante avec la persistance des attaques terroristes de Boko Haram et de ses différentes factions dans le nord-est du pays, les attaques répétées des indépendantistes de l’IPOB et du MEND dans la partie sud-est du pays d’où le pays tire l’essentiel de ses ressources pétrolières, le pays a dû aussi faire face à l’impact de la morosité de la conjoncture économique mondiale avec la pandémie de la Covid-19 et tout récemment la guerre russo-ukrainienne. C’est le cas de le dire, l’ancien président a dû faire face aux pires difficultés économies et financières qui ont plongé le pays dans un marasme économie sans précédent avec une baisse notable des revenus tirés de l’exploitation du pétrole qui représente la moitié des recettes publiques et plus de 75 % des recettes totales d’exportation du pays, une chute drastique de la monnaie locale, le naira, qui n’a cessée de dégringoler face au dollar avec 750 nairas pour un dollar au marché noir en 2022, contre 200 en 2015. La crise a atteint son paroxysme en 2020, une année ou le Nigeria avait enregistré une profonde récession due aux chocs combinés de la Covid-19 et de la baisse des recettes pétrolières avec un PIB qui a chuté de près de 8 % au deuxième trimestre avant que la croissance économique ne redevenaient positive à partir du quatrième trimestre 2020 et de se maintenir depuis. Malgré quelques signes de reprises les derniers mois de l’ère Burhari, cette conjoncture économique a véritablement impacté la vie déjà difficile des 215 millions de nigérians, dont 63% de pauvres et un chômage des jeunes endémique qui atteint 43% pauvres selon les chiffres officielles, une inflation qui frôle actuellement les 22% selon la Banque centrale (CBN), l’explosion du prix de l’essence, qui a quasiment doublé (330 nairas le litre contre 165 il y a quelques mois et pour ne rien arrangé, la pénurie de devises qui a profonde marqué le pays durant les premiers mois de cette année suite à la réforme de la naira décidée par la Président sortant et mise en œuvre à coup de forceps par la CBN.

En dépit des signes de reprises enregistrés ces derniers mois, le pessimiste reste encore ambiant chez les opérateurs économiques ainsi que les analystes. «L’environnement opérationnel défavorable au Nigeria, caractérisé entre autres par des pressions inflationnistes et un faible pouvoir d’achat, continuera d’accroître le niveau de pauvreté», estime par exemple Sola Oni, du cabinet de conseil Sofunix Investment.

Remettre l’économie sur les rails, la priorité des priorités pour tourner la page Buhari

Dans son discours d’investiture, le nouveau Président nigérian a dévoilé ses ambitions qui du reste, s’imposaient d’eux-mêmes. « En tant que président de la République fédérale du Nigeria, je m’acquitterai de mes devoirs et de mes fonctions honnêtement, au mieux de mes capacités, fidèlement et conformément à la Constitution », a déclaré le nouveau chef de l’Etat qui a également appelé «à l’unité et à la cohésion» avant de promettre de faire de la sécurité « sa priorité ». Mais plus que tout le monde, il sait que là où il est le plus attendu, c’est sur les questions économiques. Son principal défi sera de remettre l’économie nigériane sur les rails. «En ce qui concerne l’économie, nous visons une croissance plus élevée du PIB et une réduction significative du chômage» a-t-il déclaré, ajoutant que ces objectifs seraient atteints grâce à une réforme budgétaire, à une augmentation de la production d’électricité et à une amélioration de la sécurité alimentaire. «J’ai un message pour nos investisseurs, locaux et étrangers: notre gouvernement examinera toutes les plaintes formulées au sujet de la fiscalité multiple et des divers obstacles à l’investissement», a aussi assuré celui qui passe comme un véritable businessman et donc plus ouvert aux affaires, ce qui pourrait jouer en faveur de l’amélioration du climat pour les entreprises nationales et investisseurs étrangers.

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Le nouveau président nigérian s’est aussi engagé à mettre fin aux subventions accordées sur le carburant, une mesure populaire mais jugée coûteuse. Il a également promis de faire le ménage pour assainir la politique monétaire, estimant que la banque centrale devrait œuvrer en faveur d’un taux de change unifié, ce qui permettrait de faire converger les flux financiers vers des «investissements significatifs dans les usines, les équipements et les emplois qui alimentent l’économie réelle». Dans l’immédiat, l’un des premiers défis auquel va faire face le président Tinubu, c’est de parvenir à mettre fin à la persistance des pénuries qui pourraient par exemple entrainer une baisse de 25% des ventes sur les produits manufacturés si les crises du carburant et des liquidités n’étaient pas résolues dans les prochaines semaines comme annoncé par une des principales associations d’industriels du pays «cette situation n’est bonne pour personne. Ni pour l’industrie, ni pour le gouvernement, ni pour le citoyen ordinaire», a prévenu dans les médias, le patron de l’Association des fabricants du Nigeria (MAN), Segun Ajayi-Kabir.

La réforme de subventions, le premier dossier chaud sur la table du nouveau président

Le Président est aussi très attendu sur l’une des véritables patates chaudes que lui a légué l’ancien administration fédérale avec la fin des subventions pétrolières annoncé dès ce mois de juin avec l’épuisement des ressources du dernier fonds constitué à cette effet. Lors de sa campagne, il avait prévenu qu’il mettra fin à ces subventions qui coûtent énormément au budget de l’Etat et dans son discours d’investiture, il a réitéré les mêmes engagements. La nouvelle administration sait d’avance que cela va engendrer une véritable levée de boucliers dans le pays avec le front qui se met déjà en place entre syndicats de travailleurs et autres associations de consommateurs. Cette réforme qui est au cœur de tous les débats électoraux, politiques et économiques depuis près de 30 est ans comme imminente depuis plusieurs années, notamment sous pression du FMI et de la Banque mondiale. Il illustre tout le paradoxe du Nigeria. Le premier producteur de pétrole du continent africain n’exploite que du brut qu’il exporte et qui lui rapporte des milliards de dollars, mais faute d’infrastructures de raffinage, il doit importer son carburant qu’il subventionne. Cette mauvaise gestion énergétique, couplée à une corruption endémique, a entraîné une explosion de la dette mais aussi de la pauvreté qui touche près de la moitié de la population. L’urgence pour Bola Tinubu, c’est donc de renflouer les caisses de l’État et de relancer l’économie nationale, sous peine d’avoir à affronter au cours de son mandat la colère des gens, qui sont en mode survie. 

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Au lendemain de son investiture, c’est l’une des premiers dossiers sur lequel il a eu a tranché en actant la fin des subventions au carburant, une décision audacieuse qui risque d’entraîner une hausse immédiate du prix de l’essence, qui pourrait atteindre 200 %, et de relancer immédiatement l’inflation. Dans une note d’explication, son cabinet a indiqué qu’il ne s’agit que de la mise en œuvre d’une décision déjà validée par la précédente administration et les fonds ainsi dégager vont servir à atténuer les risques d’inflation et seront aussi orienter vers des dépenses à caractères sociales pour atténuer l’impact chez les personnes vulnérables ainsi qu’à la réalisation d’ infrastructures socioéconomiques pour relever le niveau du développement du pays. 

Du potentiel pour relancer la machine économique

Il va falloir attendre la fin de l’Etat de grâce, qui risque de ne pas prendre beaucoup de temps, pour jauger de l’empreinte du nouveau Président. Il a deux mois pour constituer son gouvernement qui va s’atteler à relancer la machine économique du pays et à sortir près de 80 millions de personnes sur les 215 millions que compte le pays, de la pauvreté. Malgré les difficultés qu’il a hérité et qui continuer de peser sur le dynamisme de la première économie du continent, la nouvelle administration fédérale va prendre service dans un contexte relativement favorable.  Après la récession économique de 2020, l’ancienne administration a pu tant que mal à faire redémarrer l’économie du pays dès 2021. Selon les dernières prévisions du FMI, la croissance économique du Nigeria devrait augmenter cette années à 3,2% , contre 3% estimée en 2022, alors que l’inflation s’inscrit dans une tendance baissière.

« Malgré le succès des autorités à contenir et à gérer les infections à la Covid-19, les conditions socio-économiques restent difficiles. Les retombées de la guerre en Ukraine, qui se sont transmises principalement par la hausse des prix intérieurs des denrées alimentaires, ont aggravé les effets néfastes de la pandémie, notamment sur les personnes les plus vulnérables – le Nigeria figurant parmi les pays où la sécurité alimentaire est la plus faible », avait indiqué le Fonds qui préconise  « des réformes structurelles visant à améliorer la gouvernance, à renforcer le secteur agricole et à stimuler une croissance inclusive et durable afin de garantir la stabilité macroéconomique».

Dans une récente note, la Banque centrale du Nigeria (CBN) a aussi indiqué que l’économie nigériane a maintenu une trajectoire de croissance positive pendant neuf trimestres consécutifs depuis sa sortie de la récession en 2020. Selon le gouverneur de la CBN, Godwin Emefiele, «cette performance a été largement due à la croissance soutenue des secteurs des services et de l’agriculture». Le gouverneur qui intervenait dans les médias au sortir de la dernière réunion du Comité de politique monétaire à Abuja du mois de mars a également attribué cette croissance à un rebond des activités économiques et à l’intervention continue de la CBN dans les secteurs propices à la croissance, ajoutant que la reprise de la croissance de la production devrait se poursuivre en 2023 et 2024. « Le comité a toutefois observé avec inquiétude l’augmentation marginale de l’inflation globale en février à 21,91%, soit une augmentation de 0,09 point de pourcentage par rapport au mois précédent », a ajouté la note de la banque centrale selon laquelle cette augmentation était en grande partie due à une hausse minime de la composante alimentaire. Dernièrement, c’est l’Office national des statistiques (NBS) qui dans un rapport publié le 24 mai 2023 a confirmé cette  croissance de l’économie nigériane au premier trimestre 2023 qui marque la dixième évolution trimestrielle positive consécutive du PIB de ce pays d’Afrique de l’Ouest. En dépit, « d’un ralentissement de la croissance est attribuable aux effets négatifs de la pénurie de liquidités survenue au cours du trimestre », l’Office a indiqué que la croissance enregistrée entre le 1er janvier et le 31 mars de l’année en cours découle essentiellement du bon comportement du secteur des services, qui a connu une progression de 4,35 %, ce qui a lui a permis de contribuer à hauteur de 57,29 % à la croissance globale du PIB. D’autre part que, l’Office national des statistiques a annoncé que la production de pétrole a augmenté à une moyenne quotidienne de 1,51 million de barils par jour au premier trimestre 2023, contre 1,49 million de barils par jour au trimestre correspondant de 2022.

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Malgré donc les difficultés conjoncturelles auxquelles fait face l’économie du pays, le Nigeria dispose de ressorts structurels pour relancer sa machine.  Première économie d’Afrique, le Nigéria, en concurrence étroite avec l’Afrique du Sud, le pays compte plus de 219 millions d’habitants et dans le monde, c’est la 25ème plus grande économie en volume de PIB. Cependant, l’économie nigériane est fortement dépendante du pétrole et est donc très vulnérable aux fluctuations des prix et de la production du pétrole brut. Si sur la dernière décennie la croissance économique a atteint 2,5% en moyenne, la pandémie de Covid-19 et la chute des prix du pétrole ont provoqué une contraction de l’économie en 2020. Néanmoins, la croissance économique a rebondi en 2021 avec +3,6% et 2022 avec +3,2%,  soutenue par un secteur des services dynamique et une augmentation des recettes provenant des exportations de pétrole et de gaz. La production de pétrole brut était en moyenne de 1,3 mbpj en 2022 et devrait augmenter légèrement pour atteindre 1,4 mbpj en 2023, bien que le secteur continuera d’être affecté par la combinaison du vol de pétrole, du vandalisme des pipelines et du vieillissement des infrastructures et pour 2023 et 2024, le FMI prévoit une croissance de 3 % et 2,9 %, respectivement. Parmi les risques à la baisse figurent une inflation élevée et des problèmes de sécurité.

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Autres leurs d’espoir, la hausse des prix du pétrole a entraîné une amélioration des recettes d’exportation de pétrole, entraînant un léger excédent du compte courant en 2022, par rapport à un déficit de 0,4 % en 2021 comme indiqué dans la dernière analyse de Fitch Ratings sur la notation du pays. Aussi, la baisse des niveaux de réserves qui ont été estimées à 36,3 milliards USD en 2022, contre 40,2 milliards USD un an plus tôt,  a contribué au resserrement des liquidités en devises. Le déficit budgétaire des administrations publiques en 2022 a été estimé à 6,1 % du PIB par Fitch Ratings, car la subvention à l’essence a coûté au gouvernement environ 5 000 milliards NGN (2,4 % du PIB) en revenus perdus de la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC). Dans la même dynamique, la baisse des coûts des subventions et une amélioration marginale de la production pétrolière devraient contribuer à réduire le déficit budgétaire en 2023 (toujours supérieur à 5 %).

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