Guinée-Bissau: sanctionné aux législatives pour un bilan peu reluisant, le Président Embaló condamné à rebondir pour sauver son mandat

Le président bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embalo, tient une conférence de presse conjointe avec son homologue portugais au palais de Belém à Lisbonne lors de sa visite officielle au Portugal le 8 octobre 2020. (Photo de CARLOS COSTA / AFP)

L’annonce, le 8 juin dernier par la Commission électorale des résultats des législatives anticipées du 4 juin 2023 ont été un véritable camouflet pour le Président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embalo dont la coalition, le Madem G5, n’a remporté que 29 sièges contre 54 sièges sur les 102 sièges en jeu pour la coalition de l’opposition Pai-Terra Ranka. Désormais condamné à nommer un gouvernement de cohabitation, le chef de l’Etat voit ses marges de manœuvres de plus en plus réduites alors que pour beaucoup d’observateurs, sa défaite électorale s’explique en grande partie par son bilan peu reluisant notamment sur le plan économique où l’instabilité politique et surtout la chute des prix de la noix de cajou, principale source de recettes d’exportations du pays, a contrarié l’atteinte des objectifs de son ambitieux plan stratégique « Terra Banka » qu’il a dévoilée en grande pompe lors de son arrivée au pouvoir en 2020.

En mai 2022, lorsqu’il avait dissous l’Assemblée nationale déjà dominée à l’époque par le PAIGC, le principal parti de l’opposition, le chef de l’Etat bissau-guinéen avait invoqué de « divergences persistantes ne pouvant être résolues » avec le Parlement qui selon lui « un espace de guérilla politique et de complot ». Presque une année après, les résultats provisoires proclamés le 8 juin dernier par la Commission électorale indépendante des élections législatives anticipées du 8 juin dernier ont sonné comme un cinglant désaveu pour le Président Umaro Sissoco Embalo. Les électeurs se sont bien rendus aux urnes pour un scrutin qui a été qualifié par les observateurs de « libre, transparent et apaisé », une des rares fois dans le pays depuis son indépendance en 1974, et ont donné une large victoire à la coalition Pai-Terra Ranka du PAIGC qui a remporté la majorité absolue à l’Assemblée nationale avec 102 sièges. La coalition soutenant le Président, le Madem G15  n’a obtenu que 29 sièges, ce qui condamne le chef de l’Etat a nommé dans les prochains jours à nommer un Premier ministre issue des rangs de l’opposition ainsi qu’un gouvernement de cohabitation. De l’avis de plusieurs analystes avisés de la scène politique locale, cette défaite est certes imputable aux dissensions qui minent depuis quelques temps la coalition au pouvoir mais aussi et surtout, à l’incapacité du Président Embaló à résoudre le problème de la chute du prix de la noix de cajou, source importante de revenus pour la population et principal produit d’exportation et donc d’entrée de devises du pays.

Un bilan économique peu reluisant et des ambitions contrariées par des chocs internes et externes

Les résultats du scrutin législatif du 4 juin dernier s’interprètent donc comme ceux d’un vote sanction pour le Chef de l’Etat, arrivé au pouvoir en 2020 avec un ambitieux programme économique adossé à un Plan Stratégique Guinée 2025 qui vise à développer durablement les ressources naturelles renouvelables et les filières de niche. Dénommé « Terra Banka« , ce plan aux objectifs tout aussi ambitieux était destiné à impulser le progrès social dans ce petit pays d’Afrique de l’ouest. Avec une population de 2 millions d’habitants et un PIB estimé à 1,6 milliards de dollars en 2021, la Guinée-Bissau présente des indicateurs socio-économiques parmi les plus faibles au monde. L’instabilité chronique que connait le pays depuis son indépendance en 1974 avec une succession de guerre civile et de coups d’Etat n’a jamais permis au pays d’amorcer véritablement son décollage socio-économique d’autant que le pays ne jouissait que de peu d’atouts favorables comparatifs.

A lire aussi : Burkina : avec la reprise des mines d’or d’Inata et de manganèse de Tambao par Afro Turk, le secteur minier retrouve des couleurs

L’arrivée au pouvoir de l’ancien général, élu en fin 2019 mais investi en février 2020, a soufflé pourtant un vent d’espoir pour le pays. Avec son Plan stratégique « Terra Banka », le nouveau pouvoir avait pour ambition de valoriser durablement les ressources naturelles renouvelables et de structurer des filières créatrices de nouvelles richesses et d’emplois. Le pays qui compte une population composée de 60% de jeunes de moins de 25 ans que le chef de l’Etat veut impliquer dans la diversification de l’économie portée principalement par le secteur piscicole, du tourisme et surtout la culture de la noix de cajou.

« Notre pays est vierge. Le seul produit que nous exportons chaque année vers l’Inde et le Viêt-Nam, et nous sommes leaders sur le segment, c’est l’anacarde. Les noix de cajou génèrent d’importants revenus pour l’Etat. Nous avons aussi l’agriculture et aussi la pêche qui sont aussi des piliers importants pour notre économie. Et il est désormais avéré que notre pays regorge de réserves pétrolières que nous n’avons certes pas encore commencé à exploiter», mettait fièrement en avant à l’époque le nouveau maître de Bissau qui rêvait alors grand pour son petit pays.

«J’ai un slogan qui dit il n’y a pas de petits Etats, il n’y a que des Etats. C’est vrai que nous sommes un pays pauvre mais je crois beaucoup en la solidarité sud-sud, mais surtout en la solidarité africaine pour me pousser», ne cessait-il de répéter dans les médias à chaque fois que l’occasion se présentait. Bien que peu résiliente face aux chocs économiques internes et externes, les perspectives de croissance du pays étaient alors des plus favorables. Malheureusement, les démons du passé ont ressurgit quelques mois après l’arrivée au pouvoir d’Umaro Sissoco Embaló, avant que des vents contraires ne viennent assombrir les perspectives de relance économique qui se profilait pour le pays. Les dissensions politiques ont refait surface au sein même de la coalition puis portées au Parlement que le Chef de l’Etat a fini par dissoudre en mai 2022. Quelques mois auparavant, en février de la même année, une tentative de coup d’état a été déjouée de justesse à Bissau, la capitale du pays. Ces tensions politiques sont venues exacerbées des fragilités économiques  engendrées par des chocs externes avec les effets néfastes de la pandémie de la Covid-19 dès la première année de pouvoir du Président Embaló. Le pays qui exportait habituellement entre 200 .000  et 230.000 tonnes chaque année a vu sa production chuté à 160.000 en 2020, en raison de la crise sanitaire qui sévissait chez son principal acheteur, l’Inde, aux prises avec la pandémie du Covid-19. Comme un malheur qui n’arrive jamais seul, en pleins préparatifs des législatives anticipées, la guerre en Ukraine est venue amplifiée ces chocs. L’inflation s’est ainsi renforcer, atteignant 4,1 % en 2022, avant de redescendre à 3,2 % en 2023, en raison notamment de la hausse des prix du pétrole et des denrées alimentaires consécutive à la guerre russo-ukrainienne. La variabilité du prix de l’anacarde sur le marché, la persistance de l’instabilité politique ainsi que l’insolvabilité des entreprises publiques présentent aussi des risques majeurs sur les prévisions  de croissance de la Guinée Bissau et le gouvernement a dû faire recours au FMI pour faire face à la multiplication des chocs.

A lire aussi : Accord tripartie entre le Mali, le Burkina Faso, la Guinée pour le commerce et les infrastructures

Fin janvier 2023, le FMI est venu à la rescousse de l’ancienne colonie portugaise avec un plan triennal de réformes économique adossé à une aide financière de 38,4 millions de dollars. Le programme appuyé par la Facilité élargie de crédit (FEC) visait à améliorer la gestion des ressources budgétaires et des investissements publics, à accroître la transparence, mais aussi à bonifier les secteurs de l’éducation et de la santé, tout en réduisant la pauvreté. Concrètement, l’objectif visé selon les termes du programme convenu entre le gouvernement bissau-guinéen et le Fonds Monétaire international visait « la mobilisation des recettes, la rationalisation des dépenses, l’atténuation des risques budgétaires et des emprunts prudents devraient permettre de  réduire, à moyen terme, le déficit et la dette national) conformément aux critères de convergence de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA)». La Guinée-Bissau qui a été classé parmi les treize (13) pays africains présentant un «risque élevé» d’endettement dans le dernier rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), publié en avril dernier, continue de faire face aux effets persistants des pressions inflationnistes mondiales. « La croissance économique estimée s’est ralentie en 2022 pour atteindre 4,2 %. La flambée des prix des produits de base associée à la guerre en Ukraine, en particulier des denrées alimentaires et des carburants, a porté l’inflation moyenne à 7,9 % et a contribué à l’aggravation du déficit des comptes courants », a indiqué le FMI dans une note d’information publiée en mai dernier, suite au premier décaissement de près de 4 millions de dollars au titre de la FEC.  

Des ressorts économiques pour rebondir mais à quel prix pour le président Embaló?

Selon le FMI,  « le rebond de l’économie, prévu cette année, reste menacé par d’importants risques de dégradation liés aux faiblesses intérieures, à une fragilité de longue date, à la volatilité des exportations de noix de cajou et aux retombées de la guerre entre la Russie en Ukraine. Ces facteurs pourraient avoir un impact supplémentaire sur les prix des denrées alimentaires et de l’énergie». En dépit des fragilités, l’économie du pays s’en sort relativement mieux que certains voisins de la sous-région. Il faut dire que l’année dernière, pour soutenir les agriculteurs, notamment la culture de la noix de cajou, le gouvernement a supprimé la taxe sur les agriculteurs et abaissé plusieurs taxes sur les intermédiaires et les exportateurs. A cela s’ajoute deux projets industriels majeurs annoncés en 2022 dans le secteur et qui pourront booster la production du pays tout en permettant aux agriculteurs d’améliorer leurs revenus et aussi d’espérer plus de recettes d’exportations pour les caisses de l’Etat. Il s’agit d’abord du complexe industriel annoncé par l’entreprise indienne Beta Group pour une enveloppe de 100 millions de dollars dans la filière anacarde et ensuite, celui de la compagnie chinoise Grupo Human qui a fait part de son intention d’acheter la quasi-totalité de la récolte de noix de cajou du pays et de construire dans un second temps, des unités de traitement sur place. De quoi donner un coup de pouce à l’industrie locale d’autant que malgré la volatilité des prix sur le marché international, la production de la noix de cajou a retrouvé son rythme d’avant la pandémie de la Covid-19.

A lire aussi : Chronique : Sénégal en crise – la notation financière souveraine, toujours spéculative ou à haut risque

Des perspectives favorables et des ressorts pour rebondir avec un réajustement du Plan stratégique « Terra Banka » mais qui restent conditionnées par le maintien de la stabilité politique. Et c’est là que le pari est loin d’être gagner pour le Président  Umaro Sissoco Embaló. Au lendemain de sa défaite, il a promis de respecter le choix des électeurs en nommant le premier ministre qui sera désigné par la nouvelle majorité parlementaire.  Cette dernière qui l’attend au tournant n’entend toutefois pas lui faire de cadeaux. 

Aussitôt les résultats proclamés, Muniro Conté, le porte-parole de la coalition PAI-Terra Ranka a déclaré devant une foule en liesse au siège du PAIGC:  « nous venons de réaliser une victoire historique. La seule chose que nous demandons cette fois-ci est qu’on nous laisse gouverner le pays ».

A mi-chemin de son premier mandat, un gouvernement de cohabitation est de mauvaise augure pour le Président Embaló qui aura encore moins de marge pour mettre en œuvre son programme de réformes et de relance économique. Déjà très critiqué à l’interne pour un leadership jusque-là plus porté à l’international, l’actuel Président en exercice de la Cédéao aura fort à faire pour faire avancer des réformes majeures dans un Parlement où il n’a pas la majorité. Critiqué également pour sa très grande addiction aux réseaux sociaux, la partie qui va commencer pour cette seconde mi-temps de son premier mandat s’annonce à hauts risques pour celui qui s’est jusque-là plus fait remarquer par sa forte propension à jouer les « médiateurs » à l’international comme en attestent sa tentative de s’impliquer dans la résolution de la crise russo-ukrainienne avec des visites à Kiev et à Moscou, ou se faisant l’avocat du Président tunisien Kaïs Saïed lors de sa virulente charge contre les migrants subsahariens. Désormais, c’est chez lui qu’il est le plus attendu pour mettre de l’ordre et surtout garantir le maintien de la fragile stabilité, condition sine-quanone pour espérer rebondir sur l’échiquier politique nationale et envisager avec plus de sérénité un second probable mandat à la tête de la Guinée-Bissau.   

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici