Soudan : violences et décadence d’un pays jadis « prospère »

Le conflit n'est pas idéologique, mais une lutte de pouvoir pour le contrôle total de l'État et de ses ressources. Le principal point de discorde était l'accord-cadre de transition démocratique. Cet accord prévoyait l'intégration des Forces de soutien rapide (FSR) au sein de l'armée régulière (FAS). Les généraux n'ont pas pu s'entendre sur les modalités de cette intégration. Burhan voulait que l'armée soit la force dominante, Hemetti ne voulait pas perdre son autonomie et ses sources de revenus. (Crédit : DR).

Des atrocités dont des exécutions sommaires sont relayées sur les réseaux sociaux après la capture par la milice paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR) de la ville soudanaise d’Al – Fashir. Ces scènes d’une violence insoutenable rapportées par des témoins, font réagir la communauté internationale, qui assiste impuissante depuis bientôt trois ans à cette guerre fratricide. Le pays jadis parmi les principaux exportateurs d’or et de pétrole d’Afrique est en dérive depuis la cession du Sud et le départ d’Omar El-Bachir emporté en 2019 par les conséquences du marasme économique qui a suivi l’Indépendance du Sud Soudan.  

Des centaines d’hommes abattus puis disparus après la chute d’une ville soudanaise aux mains des paramilitaires, selon des témoignages recueillis par Reuters. Lesquels font états d’exécutions sommaires, de tortures et de détentions arbitraires. Des militants et des analystes mettent en garde depuis longtemps contre des représailles à caractère ethnique de la part des Forces de soutien rapide (FSR), une milice paramilitaire, si elles s’emparaient d’al-Fashir, dernier bastion de l’armée soudanaise au Darfour. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a fait part d’autres témoignages vendredi, estimant que des centaines de civils et de combattants non armés auraient été exécutés. De tels meurtres sont considérés comme des crimes de guerre. Les RSF, dont la victoire à al-Fashir marque une étape importante dans la guerre civile soudanaise qui dure depuis deux ans et demi, ont nié ces exactions, affirmant que ces récits avaient été fabriqués par leurs ennemis et lançant des contre-accusations à leur encontre.

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La direction des FSR a ordonné des enquêtes sur toute violation commise par des membres des FSR et plusieurs personnes ont été arrêtées, a-t-il déclaré. Il a ajouté que les FSR avaient aidé les habitants à quitter la ville et appelé les organisations humanitaires à venir en aide aux personnes restées sur place. Les États-Unis ont déclaré que les RSF avaient commis un génocide à Geneina et l’attaque fait l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale. L’armée soudanaise et d’autres acteurs accusent les Émirats arabes unis de soutenir les RSF, accusations que l’État du Golfe réfute.

Un pays exsangue depuis l’indépendance du Sud-Soudan

La capture d’al-Fashir par les RSF accentue la division géographique d’un pays déjà réduit par l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, après des décennies de guerre civile. Les manifestations massives qui ont conduit au renversement d’Omar el-Béchir par l’armée en avril 2019 étaient directement liées à la crise économique désastreuse et chronique que traversait le Soudan. En obtenant son indépendance, le Soudan du Sud a emporté environ 75 % des réserves et de la production de pétrole de l’ancien Soudan. Le pétrole représentait auparavant une part écrasante des recettes publiques et des devises étrangères (plus de 50 % du budget et 95 % des exportations). Leur perte soudaine a provoqué une pénurie chronique de devises, essentielles pour importer les produits de base.

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L’État n’avait plus assez de dollars pour financer les importations essentielles, y compris les produits subventionnés comme la farine pour le pain et le carburant. Cette absence de devises a entraîné une chute brutale de la livre soudanaise et une hyperinflation (atteignant environ 70 % en 2018). Le pouvoir d’achat de la population s’est effondré. Mais tout s’est accéléré en 2018 suite à la décision du gouvernement de tripler le prix du pain après la suppression des subventions sur le blé, sur recommandation du FMI. Les manifestations, initialement déclenchées par la hausse du prix du pain et la vie chère, se sont rapidement transformées en un mouvement politique exigeant la chute du régime après 30 ans de pouvoir.  Le 11 avril 2019, l’état-major a déposé Omar el-Béchir par un coup d’État militaire, mettant fin à son règne.

 La « Guerre des deux généraux »

Il s’en suit la guerre meurtrière des 2 généraux. L’expression utilisée pour décrire le conflit armé qui a éclaté au Soudan le 15 avril 2023 et qui oppose les deux principales factions militaires du pays. C’est une lutte de pouvoir brutale et dévastatrice qui a plongé le Soudan dans une catastrophe humanitaire. Le conflit n’est pas idéologique, mais une lutte de pouvoir pour le contrôle total de l’État et de ses ressources. Le principal point de discorde était l’accord-cadre de transition démocratique. Cet accord prévoyait l’intégration des Forces de soutien rapide (FSR) au sein de l’armée régulière (FAS). Les généraux n’ont pas pu s’entendre sur les modalités de cette intégration. Burhan voulait que l’armée soit la force dominante, Hemetti ne voulait pas perdre son autonomie et ses sources de revenus. Hemetti et les FSR contrôlent d’importantes ressources économiques, notamment des mines d’or. L’intégration signifiait perdre ce contrôle au profit de l’État ou de l’armée.

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