La justice française vient de débouter la coalition des ONGs locales et internationales qui s’opposent à la réalisation du gigantesque projet pétrolier à 10 milliards de dollars du groupe français TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie (Tilenga/EACOP). Dans une décision rendue mardi dernier à la suite de près de 3 années de procédure hors norme, le Tribunal de Paris a jugé « irrecevable », la demande des ONGs qui réclamaient la suspension du projet de construction d’oléoduc et de forages pétroliers menées selon elles aux mépris des droits humains et de l’environnement. Une décision qui va faire jurisprudence dans le secteur puisqu’il s’agit de la première du genre dans le cadre de la loi sur le « devoir de vigilance » que les majors du secteur redoutent.
C’est la fin d’une longue bataille judiciaire qui aura duré trois longues années avec plusieurs rebondissements et qui était très attendu puisqu’il s’agit de la première décision qui va certainement faire jurisprudence dans le cadre de la loi sur « le devoir de vigilance » pour les entreprises du secteur extractif. La justice française a débouté mardi dernier la coalition de plusieurs ONG françaises et ougandaises qui demandaient la suspension d’un mégaprojet pétrolier porté par le géant français, le groupe TotalEnergies, en Ouganda et en Tanzanie. A travers cette procédure qui a été lancée en 2019, la coalition des ONG dont « Les Amis de la Terre » et « Survie France » dénonçaient, entre autres, les atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement et accusaient la major française de « non-respect à son devoir de vigilance » dans le cadre de son projet pétrolier en Ouganda et Tanzanie (Tilenga/EACOP). Cette loi oblige, en effet, depuis 2017 les grandes entreprises françaises à « prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, y compris lorsqu’elles sont commises par leurs filiales directes ou indirectes, en France et dans le reste du monde .
Demandes jugées « irrecevables »
Dans sa décision, le tribunal judiciaire de Paris a jugé « irrecevables » les demandes formulées par les associations. Le Tribunal a , en effet, estimé que les demandes et griefs développés par les ONG lors des plaidoiries en décembre derniers sont « différents de manière substantielle » de ceux initialement énoncés lors de la mise en demeure de 2019. Aussi, en ce qui concerne les obligations de l’entreprise française en matière de vigilance, le tribunal a estimé que le plan de vigilance de TotalEnergies comporte «les rubriques correspondant aux cinq mesures exigées par la loi ». Des éléments suffisamment détaillés pour « ne pas être regardés comme sommaires », indique-t-on dans le jugement dans lequel le Tribunal a aussi souligné que TotalEnergies a de plus publié de nouveaux plans de vigilance pour les années 2019, 2020 et 2021 qui apporte de nombreuses modifications au premier. Dans leur décision, les juges ont aussi souligné les difficultés posées par cette loi de 2017 sur le « devoir de vigilance » qui assigne « des buts monumentaux de protection des droits humains et de l’environnement à certaines catégories d’entreprise« . Dans le jugement, le Tribunal a déploré « le caractère imprécis, flou et souple de la notion de vigilance « .
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A travers cette décision qui a été déplorée par les ONGs plaignantes, le Tribunal a donc suivi le groupe TotalEnergie qui avait depuis le début focalisé sa défense « l’irrecevabilité » de la plainte. Le groupe français avait, en effet, mis en avant le fait que l’assignation lancée en 2019 visait le plan de vigilance de 2018, qui a évolué depuis avec d’importantes modifications. La défense a aussi soutenu qu’un jugement en référé ne peut intervenir en France sur des mesures extraterritoriales, le projet étant mené par une filiale du groupe français, TotalEnergies Ouganda. De manière général, les avocats du géant pétrolier ont également réfuté les allégations de manquements aux droits humains et défendu l’intérêt du projet pour le développement des deux pays ainsi que les bénéfices pour les populations.
Un mégaprojet pétrolier de 10 milliards de dollars d’investissements
Au cœur de cette affaire, le forage Tilenga en Ouganda, dont un tiers est situé dans le parc naturel des Murchison Falls et le projet EACOP (East African Crude Oil Pipeline), considéré comme le plus long oléoduc chauffé au monde avec près de 1.500 km qui vont traverser la Tanzanie. Le projet est menée par deux géants pétroliers, chinois (CNOOC) et français (TotalEnergies), qui ont conclu un accord historique de 10 milliards de dollars pour développer les ressources énergétiques de l’Ouganda et construire un vaste oléoduc régional, qui exaspère les groupes environnementaux. Ainsi, en Ouganda, le français TotalEnergies mène en Ouganda le projet pétrolier Tilenga, qui implique 419 puits de forage, dont une partie se trouve dans le parc naturel des Murchison Falls, tandis que le projet Kingfisher, un autre site d’exploitation, est mené par la China national offshore oil corporation (CNOOC). En plus de ces deux sites de forage, l’oléoduc de 1 443 kilomètres, l’EACOP, acheminera le pétrole brut en vue de son exportation. Il s’étend de la ville de Kabaale, sur la rive du lac Albert, en Ouganda, jusqu’au port de Tanga, en Tanzanie.
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En 2019, une coalition d’ONGs internationales et locales ont dénoncé le projet et décidé de saisir la justice en s’appuyant sur la loi sur le devoir de vigilance de 2017 qui responsabilise les entreprises pour leurs activités à l’étranger pour s’assurer du respect des droits humains fondamentaux et de l’environnement tout au long de la chaîne de valeur de leurs produits. La loi impose également aux entreprises de réaliser un « plan de vigilance », qui expose notamment une cartographie des risques et des mécanismes d’alerte et de prévention. Dans leurs plaintes, les ONG ont ainsi dénoncés des « accaparements de terres, des compensations insuffisantes, des intimidations envers les défenseurs de droits ». Selon les ONGs plaignantes, 28 000 personnes, souvent des petits agriculteurs, attendent toujours une indemnisation, tout en étant » privés du droit de travailler leur terre avant d’avoir reçu la moindre indemnisation ».
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Des allégations réfutés par le géant français qui a dès le début défendu l’intérêt du projet pour le développement des deux pays, en matière notamment d’électrification et d’accès à l’eau des communautés que le pétrolier s’est engagé à apporter, mais aussi en matière de biodiversité à travers des programmes de restauration de forêt et zones humides. Il faut dire que les autorités Tanzanienne et Ougandaise ont de tout approuvé le mégaprojet pétrolier sur leur territoire. La construction de l’oléoduc régional a ainsi reçu l’approbation de l’Ouganda en janvier dernier, puis de la Tanzanie le 21 février. Selon les estimations, le lac Albert, frontière naturelle entre l’Ouganda et la République démocratique du Congo (RDC), recèle une quantité de pétrole brut estimée à 6,5 milliards de barils, dont environ 1,4 milliard sont actuellement considérés comme récupérables. Dans une déclaration à l’AFP, au debut du lancement du projet, le président ougandais Yoweri Museveni avait décrit le projet comme une source économique majeure pour ce pays enclavé de la région des Grands Lacs, où de nombreuses personnes vivent dans la pauvreté. Les réserves pétrolières de l’Ouganda représentent entre vingt-cinq et trente ans d’exploitation à une cadence pouvant aller jusqu’à 230 000 barils par jour, selon les estimations. Il faut noter que bien que l’affaire soit portée devant la justice en France, les constructions ont débuté et se poursuivent notamment par la CNOOC avec l’objectif de lancer la production en 2025.