Mines-hydrocarbures : « l’Afrique suscite (…) l’intérêt de toutes les puissances qui en ont fait une zone d’intérêt vital»

Selon d’ailleurs certains observateurs, les énergies fossiles ne sont qu’une facette de la dépendance maladive des ‘’27‘’ aux importations (hors Union Européennes) et la pandémie du Covid-19 avait déjà mis en évidence la complexité des chaînes d’approvisionnement et le manque de capacité de production en Europe pour des minéraux dits ‘’critiques‘’.

Tribune : Mahaman Laouan Gaya, ancien Ministre et ancien Secrétaire Général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO)  

Depuis juin 2014, le monde et l’Afrique avec, assistent impuissants à un bouleversement des marchés énergétiques mondiaux en général et pétrolier en particulier. Cette crise énergétique a mis en évidence l’urgence, pour l’Afrique d’adopter ses propres stratégies de production et de sécurisation de ses approvisionnements dans un contexte de très grandes fluctuations des prix des hydrocarbures et des enjeux climatiques mondiaux exigeant à tous les pays une politique de transition énergétique. Moteur du changement climatique, les hydrocarbures ont été au cœur des débats à la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques tenue à Glasgow (Ecosse). Durant les deux semaines (du 1er au 13 novembre 2021)d’échanges à cette COP26, plusieurs coalitions créées à l’occasion se sont collectivement engagées à mettre, un terme au financement des combustibles fossiles, d’ici la fin de 2022. Alors, arrêter ou même limiter le développement de projets liés aux énergies fossiles (ce qui suppose pour les pays africains renoncer au développement socio-économique et à la lutte contre la pauvreté !), aurait un impact économique profondément négatif, avec son corollaire de tensions sociales ingérables ; cette décision est par conséquent irrecevable pour les africains.

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Hasard de circonstances, c’est au sortir de cette COP26 que, le jeudi 24 février 2022, l’armée russe engagea une « opération militaire » en Ukraine contre le pouvoir politique en place. Visiblement, tous les ingrédients d’une crise multidimensionnelle internationale étaient réunis. Dès l’entame de cette invasion, les Etats-Unis et l’Union Européenne décident, de riposter vite et fort en lançant plusieurs salves de sanctions contre la Russie (divers embargos économiques, y compris sur les ressources énergétiques). Aussitôt, les prix du baril du pétrole ont, dans les échanges intra-journaliers, crevés le plafond des 100,00 Dollars américains pour afficher des records non atteints depuis la barre des 147,50 Dollars, au plus fort de la crise des subprimes. Le charbon et le gaz naturel, ressources dont la Russie est le premier producteur/exportateur mondial, ont également vus leurs prix exploser dans les instants qui ont suivi le début de cette guerre. L’invasion de l’armée russe sur l’Ukraine a mis en lumière la trop forte dépendance énergétique des pays de l’Union Européenne vis-à-vis de Moscou. Selon d’ailleurs certains observateurs, les énergies fossiles ne sont qu’une facette de la dépendance maladive des « 27 » aux importations (hors Union Européennes) et la pandémie du Covid-19 avait déjà mis en évidence la complexité des chaînes d’approvisionnement et le manque de capacité de production en Europe pour des minéraux dits « critiques ». La promotion et le développement des énergies renouvelables et des voitures électriques nécessitent l’utilisation à grande échelle de ces minéraux (exceptionnellement très abondants en Afrique), et dont l’Europe en a grandement besoin.

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Certes, les Occidentaux sont très conscients que l’ère de leur domination unilatérale touche à sa fin, et telle que les choses se dessinent, le monde qui émergerait du conflit « russo-occidental » sera bouleversé de fond en comble, avec un nouvel ordre politique, économique, énergétique et militaire complètement différent de celui (unipolaire) issu de la chute du Mur de Berlin. Et pourtant, l’Afrique a tout à gagner dans ce prochain repositionnement de l’échiquier monde. Du point de vue des ressources extractives et énergétiques, l’Afrique a plus que toute autre région du monde, un avantage comparatif manifeste. Revenons d’ailleurs un peu dans l’Histoire pour rappeler que l’exploitation pétrolière dans le monde a commencé depuis des millénaires. Cependant l’exploitation moderne en tant que telle, à partir des plateformes de forage, a commencé au début 19ème siècle en Amérique et en Asie, un peu plus tard en Europe et beaucoup plus tard en Afrique. Aujourd’hui, l’on se rend compte que certaines régions (Amérique du Nord, pays du Proche et Moyen-Orient, Mer du Nord,…) jadis pionnières de la production pétrolière sont aujourd’hui soit dans la phase de déplétion, soit dans celle de l’exploitation des hydrocarbures dits non-conventionnels (gaz et pétrole de schiste,…). Quant au continent africain, entré tardivement dans l’ère du pétrole moderne, seuls quatre (4) pays ont commencé une modeste exploitation pétrolière dans les années 60. Aujourd’hui, plus de 20 pays sont identifiés comme producteurs de pétrole et une trentaine d’autres mènent des opérations de prospection et de recherche. Le continent pèse pour presque 10% de la production pétrolière mondiale et peut disposer de 13 à 15% des réserves mondiales d’hydrocarbures. Les ressources en hydrocarbures africaines sont sous exploitées, voire sous explorées et leur potentiel global est là…très abondant et il n’y a l’ombre d’aucun doute que ce potentiel peut rivaliser aujourd’hui avec celui de n’importe quelle autre région du monde.

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Les ressources extractives et énergétiques que possède le continent lui offrent une chance unique de favoriser son développement humain et économique, et de se positionner comme incontournable sur l’échiquier mondial. Avec une population qui dépasse le milliard d’habitants, la consommation d’énergie primaire per capita de l’Afrique reste la plus faible du monde. Ce déficit énergétique criard dont souffrent les pays africains ne reflète nullement la rareté des ressources énergétiques, puisque l’Afrique dispose à l’état virtuel d’un potentiel considérable en énergies fossiles (hydrocarbures, uranium) et renouvelables (solaire, éolien, hydraulique, géothermie, hydrogène, biomasse…et même déchets urbains). En effet, le continent abrite plus de 20% de réserves mondiales d’uranium, d’une des plus grandes réserves hydroélectriques exploitables mondiales avec un potentiel de plus de 300 GW et un productible de 1100 TWh (le continent malheureusement n’exploite que 8% de ce potentiel). Par ailleurs, l’Afrique à 15% de réserves mondiales de géothermie (15 GW), 38% en potentiel éolien (110 GW), plus de 300 jours d’ensoleillement par an (soit 11.000 GW), sans oublier les 40 milliards de m3 de gaz torchés des sites pétroliers annuellement rejetés dans l’atmosphère et les millions de tonnes de déchets urbains (énergies de récupération pouvant produire de l’électricité). Relativement « au centre du monde », facile d’accès et un pétrole brut d’excellente qualité, l’Afrique suscite en effet aujourd’hui l’intérêt de toutes les puissances qui en ont fait une « zone d’intérêt vital ». Le moment est venu pour les africains de s’affirmer courageusement sur les plans énergétique, économique, etc… dans le cadre d’une Union Africaine orientée vers son Agenda 2063, la Vision Minière Africaine (VMA) et la construction du continent pour les africains et par les africains à travers la Zone de Libre Échange Continentale Africaine (ZLECAf). La réorientation des activités minières, pétrolières et énergétiques au profit de la résurgence de la ZLECAf, est plus que jamais un enjeu de taille et de souveraineté économique du continent.

La crise russo-ukrainienne (crise pour les autres, mais aubaine pour l’Afrique pétrolière et énergétique) avec son risque d’enlisement, peut constituer une excellente opportunité pour les pays africains producteurs de matières premières extractives et énergétiques. Avec cette Afrique que nous voulons et qui peut être, si elle est unie et munie d’une volonté politique courageuse, être au premier peloton des producteurs des énergies de la planète et pourquoi pas jouer un rôle de premier plan dans l’hypothèse très probable d’un ‘’Nouvel ordre énergétique, militaro-économique mondial‘’.  

Par M. Mahaman Laouan Gaya, ancien Ministre et ancien Secrétaire Général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO)  

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