Chronique- Contre les fraudes sur le foncier et l’état civil en Afrique : la Blockchain

La Blockchain représente une solution technologique prometteuse pour lutter contre la fraude foncière et la fraude à l’état civil en Afrique. Elle s’appuie sur des propriétés d’immuabilité, de transparence et de décentralisation. Néanmoins, un certain nombre de défis restent nécessaires pour en profiter amplement sur le continent.  

La Blockchain fournit un registre de confiance qui est difficile à corrompre, ce qui est essentiel dans des contextes où les systèmes d’enregistrement centralisés sont vulnérables à la fraude et au manque de transparence. Des pays africains en sont conscients. Ils ont alors mis en place des systèmes, basés sur la Blockchain. Des pays, tels que le Ghana, avec des projets comme Bitland, et des villes, telles que Lagos au Nigéria, ont exploré ou mis en œuvre des systèmes basés sur la blockchain pour moderniser leur cadastre. Aussi, la Sierra Leone a notamment développé un système national d’identité numérique, basé sur la Blockchain.

Contre la fraude foncière

Le manque de registres fonciers fiables et l’absence d’enregistrement officiel d’une grande partie des terres rurales en Afrique subsaharienne entraînent des litiges fréquents, de la fraude et de la spoliation. Fort heureusement, la Blockchain peut offrir un remède potentiel. Chaque titre de propriété ou transaction foncière peut-être enregistré comme un bloc horodaté et sécurisé par cryptographie sur un grand livre numérique distribué, à savoir la blockchain. Une fois validé et inscrit, ce bloc est infalsifiable et non modifiable, éliminant le risque d’altération des registres par la corruption ou l’erreur. La sécurité et l’immuabilité des titres, pour ne pas dire leur authenticité, s’en trouvent assurés, ad vitam aeternam. Le registre est accessible et vérifiable par les parties autorisées, garantissant une transparence accrue sur l’historique des transactions et l’identité du propriétaire légitime.

En fournissant un enregistrement de propriété fiable et unique, la blockchain permet de trancher plus facilement les litiges et de sécuriser les droits fonciers. Ces conflits s’en trouveraient réduits voire inexistants.Et en termes d’accès au crédit, avec des titres de propriété sécurisés et vérifiables, les propriétaires peuvent plus facilement utiliser leurs terres comme garantie (collatéral) pour accéder à des prêts et financements.

Sécurisation de l’État Civil

L’état civil concerne les actes de naissance, de mariage, de décès, etc. dans de nombreux pays africains, il est aussi exposé à la fraude et à la perte de données. Qui n’a pas entendu des cas de cessions illicites d’Extraits du registre de naissance ou de CIN, en Afrique de l’ouest, pour des broutilles autour de 75 €? Cela engendre des problèmes d’identité et d’accès aux services publics.

Pour une identité numérique sécurisée,la Blockchain permet de créer un enregistrement permanent et infalsifiable des événements de l’état civil, servant de base à une identité numérique fiable pour chaque citoyen. Les actes d’état civil, une fois enregistrés sur la chaîne de blocs, voient leur authenticité garantie, empêchant la création de faux documents ou l’usurpation d’identité. C’est une preuve d’authenticité au même titre qu’un acte notarié.

En outre, la nature distribuée de la blockchain assure que les données ne sont pas stockées dans un point central unique, les protégeant contre la perte due à une panne système, une catastrophe naturelle ou une cyberattaque.

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Relativement à l’efficacité administrative, il est difficile de faire mieux. Les Contrats Intelligents (Smart Contracts) peuvent automatiser la vérification des données d’identité pour l’accès à certains services ou droits, réduisant la bureaucratie et l’inefficacité.

Des défis à relever

L’adoption de la blockchain, pour la sécurisation du foncier et de l’état civil en Afrique, nécessite de relever des défis qui ont trait à la connectivité, au cadre réglementaire… Significatifs, ces enjeux ont trait à des obstacles techniques/infrastructurels, à des questions réglementaires/juridiques et à des défis socio-économiques/humains.

Le déploiement de solutions Blockchain nécessite une infrastructure numérique solide, souvent lacunaire dans de nombreuses régions africaines. Une connectivité Internet et un service électrique faible freinent une telle solution. L’adoption des systèmes Blockchain, qui nécessitent une synchronisation et une maintenance constantes du réseau distribué, est entrainée par les faibles taux de pénétration d’Internet (seulement 37% des Africains étaient en ligne en 2023). Même topo, face à un approvisionnement énergétique insuffisant ou non fiable, dans de nombreuses zones, notamment rurales. Une accessibilité et une inclusion auxquelles, il faut veiller. Cette solution ne doit pas contribuer à creuser la fracture numérique, excluant les populations rurales ou moins connectées. Des solutions doivent être trouvées pour garantir l’accès à l’enregistrement des droits fonciers ou d’état civil, même en l’absence de smartphones ou d’accès Internet permanent.

La mise en place initiale de systèmes informatiques complexes, y compris le matériel pour les nœuds de la blockchain, les serveurs de stockage et les dispositifs de saisie de données sécurisés, peut représenter un coût initial élevé. Cela peut décourager des gouvernements, sous forte pression budgétaire.

Un autre défi et non des moindres à trait à l’interopérabilité. En effet, assurer l’interopérabilité entre les nouveaux systèmes Blockchain et les systèmes d’enregistrement existants (souvent papier ou centralisés obsolètes) reste un défi technique majeur pour garantir une transition fluide.

Sur le double plan réglementaire et juridique, l’absence ou l’inadaptation des cadres légaux constitue un frein majeur.Il y a un manque de législation claire, régissant l’utilisation de la technologie Blockchain, des contrats intelligents (Smart Contracts) et des identités numériques. Seuls 24 pays africains disposent de lois sur la protection des données (en 2025), ce qui crée une incertitude juridique. Se pencher sur un cadre réglementaire fragmenté et inadapté est d’une urgence prégnante si la blockchain doit être adoptée contre ces fléaux.

Nouvelle législation et arbitrages

A mon avis, un des obstacles majeurs est à trouver à propos de la tension avec le Droit à l’Effacement (RGPD). Rappelons que le principe fondamental de la Blockchain est lié à l’immuabilité des données. Cela est en nette contradiction avec les législations émergentes sur la protection des données personnelles qui reconnaissent le droit à l’effacement (droit à l’oubli). Trouver un moyen de concilier ces deux principes (par exemple, en chiffrant les données personnelles sur la blockchain et en gérant la clé de chiffrement séparément) est un défi juridique complexe.

Il est aussi nécessaire qu’il y ait une reconnaissance légale des registres. Pour que la Blockchain ait un impact, le registre numérique de propriété foncière ou d’état civil doit être légalement reconnu et faire force probante supérieure aux registres traditionnels. Cela exige une refonte législative significative.

Au chapitre des défis socio-économiques et humains, notons que l’efficacité du système dépend in fine de l’acceptation par les populations et de la capacité des administrations.Un déficit de compétences numériques sera synonyme d’échecs d’une telle solution.Aujourd’hui, il y a une pénurie de personnel qualifié (informaticiens, juristes, administrateurs) capable de développer, d’opérer, de maintenir et de réglementer des systèmes basés sur la Blockchain. Pour y remédier, des investissements massifs sont nécessaires dans l’alphabétisation numérique et la formation professionnelle.

Eviter de sécuriser une fraude

L’intégrité du système repose sur la fiabilité des données entrantes (« Garbage In, Garbage Out »). Si les données initiales sur les titres fonciers ou l’état civil sont corrompues, la Blockchain ne fera que sécuriser une fraude. La transition nécessite de restaurer la confiance dans les institutions de saisie initiales. A ce titre, la bonne gouvernance prend tout son sens.

Pour la réussite d’un tel système, les fonctionnaires, bénéficiant du système actuel opaque (par la corruption ou la rente de situation), ne doivent pas résister activement ou passivement à l’adoption de systèmes transparents basés sur la Blockchain. Un combat énergique doit alors être mené contre la résistance au changement et à la corruption.