Vague anti-migrants en Tunisie: la sanction de la Banque mondiale, une nouvelle alerte pour une économie sous perfusion

L'économie tunisienne ne survit actuellement que grâce aux perfusions financières des institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le FMI et la crainte selon l'analyste financier tunisien Bassem Neifer, "c'est que cette décision n'influence les discussions avec les deux institutions". (Crédit : Dr, Africa Income).

La Banque mondiale a décidé de suspendre jusqu’à nouvel ordre, son partenariat avec la Tunisie, en réaction aux propos anti-migrants subsahariens tenus par le président Kais  Saïed et qui ont provoqué une vague de violences contre les ressortissants des pays subsahariens dans le pays. Dans un courrier, la Banque mondiale a estimé ces propos « complètement inacceptables » et  contraire à ses valeurs centrales relatives à la sécurité et l’inclusion des migrants et des minorités. Malgré que les autorités tentent de relativiser son impact, cette mesure  risque d’amplifier davantage la crise économique et sociale que traverse le pays d’autant que l’économie tunisienne ne doit actuellement sa survie que grâce au soutien des institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le FMI.

Le président tunisien aurait été mieux avisé d’avoir fait sienne cette sagesse africaine qui dit qu’il vaudrait mieux remuer sa langue sept fois avant de proférer les propos qu’il a tenu le 21 février dernier lors de la réunion du Conseil de sécurité qu’il a présidé et dans lesquels il a annoncé « des mesures urgentes contre l’immigration clandestine de ressortissants de l’Afrique subsaharienne », évoquant  notamment de « hordes de migrants clandestins » dont la venue relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie ». Des propos qui avait engendré une montée de la haine anti migrants dans le pays avec des cas de sévices corporelles et une vagie d’arrestation de ressortissants de pays subsahariens.

Après le tollé provoqué par ces propos qui ont été condamnés par l’Union africaine (UA), le Secrétaire général des Nations unies, les Etats-Unis ainsi que les décisions prises par certains pays comme la Côte d’ivoire, la Guinée ou le Mali de rapatrier leurs ressortissants, des partenaires de premier plan du pays ont commencé à prendre leur distance avec le gouvernement de Kais Saïed.

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Dans un courrier rendu public en début de semaine, le Président du groupe de la Banque mondiale, David Malpass, a décidé de suspendre « jusqu’à nouvel ordre » son partenariat avec la Tunisie, jugeant « complètement inacceptables » les propos de Kais Saïed. « Les commentaires publics qui attisent la discrimination, les agressions et les violences racistes sont complètement inacceptables », a jugé le président de la Banque mondiale et face à la dégradation et aux agressions rapportées, il a estimé que l’institution n’est pas en mesure de poursuivre ses missions sur place, « la sécurité et l’inclusion des migrants et des minorités faisant partie des valeurs centrales d’inclusion, de respect et d’antiracisme » de la Banque mondiale. Ainsi, poursuit la correspondance adressé à ses équipes, compte tenu de la situation, la direction a pris la décision de mettre en pause  cet accord de partenariat et de retirer du calendrier, la revue du conseil d’administration  de la Banque mondiale consacrée au pays qui est prévue initialement le 21 mars mais qui est désormais « reportée jusqu’à nouvel ordre ». Cette dernière concerne le cadre de partenariat pays (CPF), qui sert de base de suivi par le conseil d’administration de la Banque mondiale afin d’évaluer et accompagner le pays dans ses programmes d’aide.

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Concrètement, a expliqué un expert,  l’institution de Breton Woods, qui ne peut pas lancer de nouveaux programmes de soutien avec le pays tant que le CA ne s’est pas réuni, a décidé de suspendre la tenue de cette réunion sur la Tunisie « jusqu’à nouvel ordre », selon le courrier. « Les projets financés restent financés et les projets en cours sont maintenus », précise cependant à l’AFP une source proche de la Banque mondiale. Selon la même source, l’institution prévient par ailleurs d’un possible ralentissement de ses actions sur place à cause de la mise en œuvre de mesures de sécurité, en particulier concernant ses employés originaires d’Afrique subsaharienne et leurs familles.

Des inquiétudes amplifiées pour une économie à bout de souffle

La décision de la Banque mondiale a été certes relativisée par le gouvernement tunisien mais de l’avis de plusieurs analystes, même si son impact n’est pas pour le moment concrètement évalué, elle va beaucoup impacter le pays dont l’économie traverse une mauvaise passe depuis des mois. Dans une déclaration aux médias ce mercredi 08 mars 2023, le ministre tunisien de l’Économie et de la Planification, Samir Saïed, a même nié la suspension du partenariat entre son pays et la Banque mondiale.

 « La position de la BM est claire: elle a nié la suspension des relations avec la Tunisie et, seulement, il s’agit d’un report des discussions au sujet du prochain programme avec la Tunisie », a expliqué le ministre tunisien pour qui, « Ce report n’aura pas, certes, d’effet négatif sur la Tunisie. La Banque mondiale participera au financement du projet de liaison électrique entre la Tunisie et l’Italie ».

Il faut dire que la Tunisie traverse depuis des mois une crise économique sans précédent qui se traduit par une crise sociale sans précédent et qui s’ajoute à un contexte politique des plus incertains depuis la vague de réformes décidées par le président l’année dernière. L’économie tunisienne ne survit actuellement que grâce aux perfusions financières des institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le FMI et la crainte selon l’analyste financier tunisien Bassem Neifer, « c’est que cette décision n’influence les discussions avec les deux institutions ». Des craintes légitimes si ont tient compte du fait que les contributions de la Banque Mondiale ont été programmées pour la planification budgétaire de la Tunisie pour les années 2024 et 2025 et sans cet appui, l’équilibre budgétaire risque d’être rompu ce qui mettra encore à mal l’économie du pays.

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Il faut aussi souligner que bien que les pays d’Afrique subsaharienne ne représente que peu dans la balance commerciale du pays avec, d’après les estimations,  3,5 % de nos exportations et 1,6 % des importations tunisiennes, la sortie médiatique du président tunisien est venu mettre les bâtons dans les roues des investisseurs et exportateurs tunisiens qui ont des visées stratégiques sur le continent. Dans plusieurs pays comme au Sénégal, des appels au boycott des produits tunisiens ne cessent de foisonner sur les réseaux sociaux, ce qui n’est pas de bonne augure pour l’offensive tunisienne en Afrique où le pays est déjà très devancé par ses voisins maghrébins comme l’Algérie et surtout le Maroc.

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