A la COP 27, dont les travaux se déroulent du 06 au 18 novembre à Charm el-Cheick, en Egypte, les négociations sur l’agenda pour une véritable et concrète transition énergétique s’annoncent comme le véritable enjeu pour l’Afrique. Les pays africains maintiennent leur engagement quant à l’Accord de Paris de 2015 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais au regard de leur faible empreinte carbone, ils n’entendent pas faire de concession sur un abandon brusque et dans l’immédiat des combustibles fossiles comme le réclament les pays développés. Ces derniers qui peinent à honorer leurs promesses de financements en faveur des pays pauvres et plus affectés par le changement climatique et qui n’hésitent pas à revenir aux combustibles fossibles si besoin, comme l’a montré la crise russo-ukrainienne. Ce qui risque de faire capoter des négociations déjà tendues alors que les initiatives ne manquent pas pour une transition juste, inclusive et équitables vers des énergies vertes sans compromettre le développement de l’Afrique.
C’est un véritable pavé dans la marre que vient de jeter la ministre de l’Environnement du Congo-Brazzaville, Arlette Soudan-Nonault qui a décidé de claquer la porte des négociations sur le climat qui se déroulent dans le cadre de la COP 27 en Egypte. A travers ce geste, qui est loin d’un coup d’éclat, la ministre congolaise a expliqué s’insurger contre la non prise des intérêts des pays africains par les pays riches dans le cadre de l’accord visé sur l’agenda de la transition énergétique destinée à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris de 2015 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. « Pour aller vers une transition avec des énergies propres, il nous faut des financements ce qui n’est pas encore le cas », a-t-elle déclaré aux médias.
C’est tout l’enjeu pour les pays africains pour cette 27e COP, la 5e qui se tient sur le continent africain depuis 1992. Il faut dire que dans le sillage des décisions issues de la COP 26 de Glasgow, une vingtaine de pays développés soutenues par quelques ONGs et institutions occidentales ont, en effet, décidé d’imposer aux Etats-parties de la Convention cadre des nations unies sur le climat, l’abandon dans les plus brefs délais, de l’exploitation des combustibles fossiles et d’œuvrer pour une intensification rapide du déploiement des énergies propres dans le cadre d’une transition vers des systèmes énergétiques à faibles émissions afin de lutter contre le changement climatique. Selon le dernier rapport du Groupe international des experts sur le climat (GIEC), « il s’agit d’un impératif pour atteindre les objectifs visés et ainsi prévenir les pires effets de la crise climatique ». Comme l’a d’ailleurs mis en avant, Selwin Hart, le Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’action climatique qui reconnait toutefois que « les pays en développement, en particulier les plus pauvres, auront besoin d’aide pour faire la transition vers un avenir basé sur les énergies renouvelables ».
En effet, alors que l’empreinte carbone de l’Afrique est la plus faible de tous les continents, avec environ 3 % des émissions mondiales de CO2, les pays les plus riches n’ont pas rempli leurs promesses de 100 milliards de dollars par an aux pays en développement à partir de 2020 pour les aider à faire face aux conséquences du réchauffement climatique et à rendre leurs économies plus vertes, atteignant seulement 83 milliards de dollars, selon les estimations de l’ONU.
Enjeux divergents
Pour les pays africains, les enjeux sont ailleurs car trop stratégique. Le continent s’est certes greffé à la dynamique mondiale de lutte contre le changement climatique à travers ses multiples engagements et initiatives visant à l’atteinte des émissions nettes de carbone nulles, mais n’occulte pas aussi la nécessité qui urge de disposer de plus de financements pour progressivement s’affranchir des combustibles fossiles sans toutefois compromettre son développement économique. « l’Afrique est pleinement convaincue et engagée en faveur d’un taux net zéro et soutient l’agenda climatique, mais là où nous divergeons, c’est sur le calendrier », résume ainsi Amani Abou-Zeid, commissaire à l’énergie de l’Union africaine (UA) qui s’appuie sur la position commune arrêtée par les pays africains sur cette question au cœur du rendez-vous de Charm el-Cheick. En prélude à la COP 27, les ministres et représentants des différents pays du continent sont parvenus, en effet, à accorder leurs violons pour défendre leurs intérêts communs. C’est ce qui a été arrêté début octobre lors de la Pré-COP 27 qui s’est tenue à Kinshasa, en RDC, sur la base des discussions déjà engagées en marge de la dernière édition de la Semaine africaine du pétrole, qui s’est tenue du 03 au 07 octobre au Cap, en Afrique du Sud.
Il faut dire que pour les pays africains, l’équation est toute simple. Avec une population estimée actuellement à 1,3 milliard d’habitants et devrait doubler d’ici à 2050, l’Afrique a pour objectif de mettre une énergie abordable et fiable à la disposition de tous d’ici à 2063, conformément à l’Agenda de l’organisation continentale. Les pays africains ont besoin de mettre en valeur leur potentiel en ressources naturelles pour financer leur transition énergétique tout en apportant des réponses aux multiples défis de développement auxquels ils font face. D’autant qu’en vertu de l’accord de Paris de 2015, les nations les plus développées ont l’obligation d’aider les pays en développement à réduire leurs émissions dans le cadre des efforts mondiaux de lutte contre le réchauffement climatique. Or, ces engagements n’ont pas encore été tenus alors que, non seulement, l’Afrique qui ne contribue que très faiblement à la pollution mondiale, en paie déjà un lourd tribut des conséquences du dérèglement climatique et participe également à travers différentes initiatives comme la Grande muraille verte, au sauvetage de la planète.
« Même si elle ne contribue que pour moins de 4% des émissions de gaz à effets de serre, l’Afrique souscrit à l’objectif ultime de neutralité carbone ; mais dans le cadre d’une transition énergétique concertée, juste et équitable, en lieu et place de décisions unilatérales qui portent préjudice à notre processus de développement, y compris l’accès universel à l’électricité dont 600 millions d’africains restent encore privés. (…) Les pays africains supportent de plus le coût avec le développement de projets verts financés souvent par recours à la dette alors même que la mise en œuvre de l’adaptation doit se faire par des dons conformément aux engagements convenus ». Macky Sall, Président du Sénégal et Président en exercice de l’UA.
Défis africains
Comme il fallait s’y attendre donc, le financement de la transition écologique notamment en Afrique est l’un des principaux points chauds de la COP27. Les prémisses étaient perceptibles dès la COP 26 et à l’édition 2022 du grand raout du climat, les pays africains étaient décidés à défendre leurs intérêts stratégiques dans le cadre des négociations en cours. Le Président sénégalais et Président en exercice de l’Union Africaine (UA), Macky Sall, avait ‘ailleurs annoncé les couleurs aux premiers jours de la 27e édition de la Conférence des Nations unies sur le climat (COP 27) à l’occasion du Sommet des chefs d’Etat qui marquait l’ouverture des travaux : « l’Afrique est venue au rendez-vous de Sharm el Sheikh dans un esprit de participation responsable au sauvetage de la planète ; résolue à faire l’histoire et non à la subir ». Ceux qui ont pris à la légère les déclarations du chef de l’Etat sénégalais ont vite fait de déchanter car au fil des négociations qui sont depuis entrées dans le vif des sujets, force est de reconnaitre que cette fois, les pays africains sont plus que jamais décider à ne pas se contenter de nouvelles promesses ou d’engagements de financements, mais de défendre véritablement leurs intérêts surtout sur des questions aux intérêts stratégiques pour le continent. La décision que vient de prendre la ministre congolaise de l’Environnement en est, si besoin est, la parfaite illustration que les pays africains ne sont pas prèts d’abandonner de sitôt l’exploration et l’exploitation du pétrole et du gaz, des ressources sur lesquels ils comptent pour accélérer leur développement et financer leur transition vers des énergies renouvelables.
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L’abandon dans l’immédiat des combustibles fossiles comme le réclament les pays riches et particulièrement européens, pourrait s’avérer suicidaire pour de nombreuses économies africaines selon plusieurs experts et pour le Président Ougandais Yoweri Museveni, il s’agit même « d’une hypocrisie » de l’Europe à l’égard de l’Afrique sur cette question climatique et les politiques énergétiques. Dans un long réquisitoire publié par plusieurs médias en pleine COP 27, il a fustigé la réouverture en Europe de centrales à charbon face à la crise énergétique causée par la guerre en Ukraine, alors que, dans le même temps, le Vieux continent demande aux nations africaines de ne pas utiliser de combustibles fossiles. « Nous n’accepterons pas une règle pour eux et une autre pour nous », a écrit le Président Museveni qui a dénoncé le fait que « l’Europe utilise les combustibles fossiles de l’Afrique pour sa propre production d’énergie » tout en refusant « l’utilisation par l’Afrique de ces mêmes combustibles pour la sienne ».
« Nous ne permettrons pas que le progrès de l’Afrique soit la victime de l’échec de l’Europe à atteindre ses propres objectifs climatiques », a encore prévenu le Chef de l’Etat Ougandais pour qui « l’incapacité de l’Europe à atteindre ses objectifs climatiques ne devrait pas être le problème de l’Afrique ».
La colère du Président s’explique certainement par les pressions que font exercer les pays européens, à travers leurs institutions et ONGs, pour décourager ou faire annuler de grands projets d’investissements dans les énergies fossiles notamment le gaz, dans son pays. Lors de la « Journée de la décarbonisation« , le vendredi 11 novembre à l’occasion de la COP 27, des centaines de manifestants ont fustigé certains de ces gigantesques projets notamment celui annoncé en février dernier par la multinationale TotalEnergies et la compagnie chinoise CNOOC qui porte sur un accord d’investissement de 10 milliards de dollars avec l’Ouganda et la Tanzanie pour la construction d’un oléoduc de plus de 1.400 kilomètres reliant les gisements du lac Albert, dans l’ouest de l’Ouganda, à la côte tanzanienne.
C’est aussi une autre facette de cette « hypocrisie » que dénoncent certains pays africains. Alors qu’en marge de COP 26 de Glasgow (Ecosse), et à l’initiative du Royaume-Uni, 19 pays occidentaux et certaines institutions, se sont collectivement engagés à mettre un terme au financement public international des combustibles fossiles à partir de la fin de 2022, un rapport que vient de rendre public ce lundi une ONG internationale allemande fait ressortir que plus de 40 pays de continent sont actuellement engagés dans des projets de développement de champ gazier ou pétrolier. Le montant estimé des investissements s’élève à près de 400 milliards de dollars dont près de 100 milliards de la part de banques ou d’institutions de pays riches. C’est autant que ce qui a été promis à l’Afrique annuellement et à partir de 2020 pour accompagner sa transition énergétique !
Une transition énergétique juste, inclusive et équitable à l’image du modèle sud-africain
Pour l’Afrique, le principal défi, c’est d’amener les pays riches, grands pollueurs du monde, à assumer leurs responsabilités vis-à-vis des pays pauvres par le biais « d’une transition énergétique juste, inclusive et équitable« . C’est ce qu’a plaidé par exemple le Président de la République du Niger Bazoum Mohamed, pour qui « une telle transition devrait permettre à l’Afrique d’exploiter ses ressources énergétiques notamment fossiles, condition sine qua non, pour favoriser son développement industriel durable et éradiquer la pauvreté« .
D’autant que les alternatives ne manquent pas pour accompagner les pays africains vers cette transition énergétique sans prendre le risque de compromettre son développement. Dans un récent rapport, la Fondation Mo Ibrahim a mis en évidence que les énergies renouvelables et le gaz représentent le meilleur choix stratégique pour combler le déficit énergétique du continent africain, ce qui a été déjà avancé par l’Agence internationale de l’Energie (AIE) qui dans ses scénarios Le gaz naturel, dont le continent regorge de potentiel, peut par ailleurs faciliter l’élimination progressive des combustibles fossiles plus polluants. « L’augmentation de son utilisation dans la production d’électricité permettra aux pays africains d’éliminer progressivement les combustibles les plus polluants tels que le charbon, le diesel, le fioul lourd et la biomasse traditionnelle », a indiqué le rapport, dans lequel les experts s’accordent aussi sur le fait que l’augmentation de la part du gaz dans le mix énergétique de l’Afrique n’augmentera que marginalement sa part des émissions mondiales de carbone. « Si l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne hors Afrique du Sud triplaient leur consommation d’électricité en utilisant exclusivement du gaz naturel, cela n’ajouterait en effet que 0,6 % aux émissions de carbone à l’échelle mondiale. », indique le rapport de la Fondation Mo Ibrahim. L’exemple le plus illustratif est le plan de l’Afrique du Sud, principal producteur et consommateur de charbon du continent, mais aussi un des douze plus grands pollueurs du monde.
En 2021, le gouvernement sud-africain a obtenu 8,5 milliards de dollars de prêts et de subventions d’un groupe de pays riches pour financer la transition vers des solutions plus écologiques. Bien que l’accord soit en ce jour resté en suspens, en raison de négociations tendues avec les pays donateurs sur la manière dont l’argent doit être dépensé, le plan de l’Afrique du Sud est jugé par les experts et institutions de référence en la matière pourrait être une référence pour les pays qui passent des sources d’énergie très polluantes aux énergies renouvelables. Dans le cadre du plan de transition élaboré par le gouvernement sud-africain, des turbines et des panneaux solaires remplaceront progressivement les centrales à charbon très polluantes et ainsi le pays, dont le charbon représente 80%de la production d’électricité avec ses impacts socioéconomiques, espère réaliser ses engagements de décarbonisation tout en promouvant le développement durable et en assurant une transition juste pour les travailleurs et les communautés concernés. La concrétisation de ce plan et notamment les détails de son financement seront au cœur des négociations de la COP 27 afin de garantir son succès et ainsi confirmer l’idée selon laquelle d’énormes investissements dans les sources renouvelables africaines, pour la plupart inexploitées, pourraient rapidement sevrer le continent des combustibles fossiles dans le cadre d’une transition juste, inclusive et équitable. C’est tout ce que réclament les pays africains mais comme l’a si bien rappelé, encore une fois, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui a reconnu que le plan de l’Afrique du Sud, qui pourrait être reproduit dans d’autres pays africains, semble être une telle action crédible : « les paroles en l’air ne suffiront pas. Nous avons besoin d’actions crédibles et de responsabilité ».