Financement des infrastructures en Afrique : malgré une baisse de régime du fait de la Covid-19, du potentiel à exploiter

Sur les 85 milliards de dollars engagés pour le développement des infrastructures en Afrique en 2019, 22,5 milliards de dollars d'engagements sont allés à l'Afrique de l'Ouest, suivie de l'Afrique de l'Est (16,3 milliards), de l'Afrique du Nord (15,1 milliards), de l'Afrique australe – hors Afrique du Sud – (10,8 milliards), de l'Afrique du Sud (12,7 milliards) et de l'Afrique centrale (5 milliards).

Le Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA) a rendu public, le 14 décembre 2022, son rapport annuel sur « les Tendances du financement des infrastructures (TFI) en Afrique ». Selon le document qui traite des données sur la période 2019 à 2020, les engagements en faveur du financement des infrastructures ont atteint 81 milliards de dollars en 2020 en baisse de 4 milliards comparé à l’année précédente. En raison de l’impact de la pandémie de la Covid-19 et de la baisse des financements de la Chine. Selon le rapport, c’est en Afrique de l’ouest où les investissements ont été les plus significatifs notamment dans le secteur des transports et celui de l’énergie alors que celui des TIC connait une croissance assez dynamique. Selon les auteurs du rapport, les innovations financières comme celles visant à améliorer l’accès du secteur privé à l’épargne domestique, offrent de réelles opportunités pour élargir les options de financement disponibles et nécessaires pour combler le déficit du continent en infrastructures.

Comme pour les précédentes éditions, le dernier rapport de l’ICA, un consortium mis en œuvre par différents partenaires institutionnels et financiers, analyse la manière dont les ressources financières sont mobilisées pour aider au développement des secteurs du transport, de l’eau et de l’assainissement, de l’énergie et des technologies de l’information et de la communication (TIC) sur le continent. La dernière édition du rapport qui a été lancé cette semaine à Abidjan, en Côte d’ivoire, porte certes sur les données relatives à la période 2019-2020 mais elle comporte de riches enseignements sur l’impact de la pandémie de la Covid-19 sur la dynamique des engagements en faveur du financement des infrastructures en Afrique ainsi que les perspectives à l’heure de la relance qui reste, toutefois, marqué par l’amplification de nouveaux chocs notamment la baisse des investissements en provenance de la Chine et le poids croissant de la dette pour certaines économies du continent. Comme il a été relevé dans le document d’ailleurs, le rapport sur « les Tendances du financement des infrastructures en Afrique (TFI) » 2019-2020 a été préparé dans une période très inhabituelle. En effet, ont mis en avant les auteurs, la pandémie de COVID-19 a bouleversé de nombreuses tendances économiques et sociales dans le monde. Tous les pays ont été touchés et particulièrement en Afrique, de nombreux services sociaux essentiels tels que les soins de santé de base et l’éducation ont été réduits et des emplois perdus. Ce qui a eu comme conséquence un accroissement de  la pauvreté et l’ exacerbation des difficultés, en particulier pour les personnes situées en bas de la pyramide. » La réduction de l’activité économique et le déclin des exportations ont eu un impact négatif sur le poids de la dette de nombreux pays, dont certains se trouvent maintenant en situation de surendettement », indique le rapport dans lequel la contribution des Institutions financières internationales (IFI) a été mise en exergue du fait de leur contribution qui a permis d’atténuer les chocs. Ces institutions ont , en effet, fourni une aide d’urgence et pris des mesures d’allègement de la dette, notamment le Programme COVID-19 du FMI qui s’est traduit par le biais d’une assistance financière et d’un allègement du service de la dette.

Mais dans l’ensemble, ont estimé les auteurs du rapport, « les pays africains ont fait preuve d’une résilience louable et leur réponse politique ferme a réduit l’impact possible sur le continent ». En ce sens, il ressort du document que pour les secteurs des infrastructures, « la pandémie a réduit les flux financiers en 2020, tant de la part des gouvernements nationaux que des institutions financières internationales, les rares ressources fiscales ayant été réaffectées à des usages sociaux plus urgents ».

Pour ce qui est donc de cette période où la dynamique économique mondiale a fortement ralenti, le total des engagements en faveur du financement des infrastructures en Afrique a atteint 81 milliards de dollars américains en 2020, soit 4 milliards de dollars de moins que les 85 milliards de dollars enregistrés en 2019. Selon les auteurs du rapport, cette baisse de régime est dû, en grande partie, à l’impact de la pandémie de Covid-19 et à des financements moindres de la Chine.

Baisse de régime des engagements publics contrairement à ceux du privé

Selon le rapport, en 2019-2020, le financement des infrastructures sur le continent s‘était chiffré en moyenne à 83 milliards de dollars. Ce qui a été  nettement inférieur au point culminant, de 100,8 milliards de dollars atteint en 2018. La baisse des engagements creuse l’écart entre les investissements annuels nécessaires pour fournir des services d’infrastructure de base aux populations africaines et les montants de financement réels engagés en faveur des infrastructures africaines en 2019 et 2020 et c’est particulièrement en 2019 que l’écart de financement a été le plus faible. Les données font ressortir que le déficit pour 2019 oscillait entre 53 et 93 milliards de dollars, contre 52 à 92 milliards de dollars pour 2018, d’après les estimations. Cependant, poursuit le document,  il a continué de se creuser pour atteindre 59 à 96 milliards de dollars en 2020, année de la pandémie. En 2020, ce déficit de financement a augmenté dans tous les secteurs à l’exception des TIC et en comparaison avec celui enregistré pour 2019. Le rapport relève que les gouvernements africains ont davantage investi dans le financement des infrastructures en 2019 et 2020, en y consacrant 41 % du total de leurs investissements. Même si, à cause de la pandémie de Covid-19, les financements des gouvernements africains en faveur des infrastructures ont diminué de 4,3 % en 2020, par rapport à 2019.

« La réduction de l’activité économique du fait de la pandémie et la baisse des exportations ont eu un impact négatif sur le poids de la dette de nombreux pays africains et certains sont désormais en situation de surendettement », ont mis en exergue les auteurs du rapport.

Pour ce qui est des engagements publics, le rapport a mis en lumière le fait que grâce aux nouvelles adhésions à l’ICA, ces engagements s’étaient chiffrés à 26,9 milliards de dollars en 2019, avant de chuter à 18,1 milliards de dollars en 2020, ce qui s’explique par le fait que « les pays membres s’étant concentrés sur les mesures de lutte contre l’impact du Covid-19 ». L’augmentation des engagements en 2019 avait permis aux membres de l’ICA de financer 32 % du total de leurs engagements pour cette année-là. En 2020, leur part s’est stabilisée à 22 % du total des engagements, soit un peu plus que leur part de 20 % en 2018. Pour ce qui est des engagements du secteur privé, ils ont atteint, quant à eux, 19 milliards de dollars en 2020, soit le niveau le plus élevé jamais enregistré. Il s’agit d’une hausse substantielle par rapport aux niveaux d’engagement de 2018 qui étaient de 11,8 milliards de dollars et ceux de 2019 qui se chiffraient à 10,8 milliards de dollars. Cette tendance s’explique en partie, selon les auteurs du rapport, par plusieurs grands projets qui ont été retardés en 2019 et reportés à 2020. En dépit de cet état de fait, il n’en demeure pas moins que les engagements moyens pour 2019-2020, qui se chiffrent à 14,9 milliards de dollars, restent les plus élevés jamais enregistrés.

Des investissements concentrés en Afrique de l’Ouest et dans le secteur des transports

Selon le rapport, en 2019 et  2020, le secteur des transports a concentré la plus grande part des engagements avec, respectivement, 33,8 milliards (40 %) et 34,4 milliards de dollars (42 %). C’est plus que les 32 % (32,5 milliards de dollars) enregistrés en 2018. Les gouvernements africains ont contribué à plus de la moitié des engagements dans le secteur, avec 55 % en 2019 et 54 % en 2020. Les engagements dans le secteur de l’énergie, qui avaient connu une forte augmentation en 2018 pour atteindre 43,8 milliards de dollars, ont nettement diminué en 2019 (25,9 milliards de dollars) puis en 2020 (23,5 milliards de dollars). La part du secteur de l’énergie dans le total des engagements a diminué, passant de 43 % en 2018 à 31 % en 2019, puis à 29 % en 2020.  Pour le secteur de l’eau et l’assainissement, les engagements ont représenté 12 % (10,1 milliards de dollars) du total des engagements en 2019 et 10 % (8,1 milliards de dollars) en 2020, ce qui est nettement inférieur aux 12,9 milliards de dollars (16 %) enregistrés en moyenne sur 2016-2018. Les engagements en faveur du secteur des TIC ont nettement augmenté par rapport à 2018, avec 7,1 milliards de dollars (7 % du total des engagements pour atteindre 11,4 milliards de dollars en 2019 (13 % du total des engagements) et 10,4 milliards de dollars en 2020 (13 % aussi). Le secteur privé a pu maintenir et augmenter ses flux d’investissement dans les TIC. Le secteur privé représentait deux tiers du financement des TIC en 2019 et un tiers en 2020.

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Sur les 85 milliards de dollars engagés pour le développement des infrastructures en Afrique en 2019, 22,5 milliards de dollars d’engagements sont allés à l’Afrique de l’Ouest, suivie de l’Afrique de l’Est (16,3 milliards), de l’Afrique du Nord (15,1 milliards), de l’Afrique australe – hors Afrique du Sud – (10,8 milliards), de l’Afrique du Sud (12,7 milliards) et de l’Afrique centrale (5 milliards). En 2020, sur un total de 81 milliards de dollars d’engagements, l’Afrique de l’Ouest a perçu 22,3 milliards de dollars, suivie de l’Afrique du Nord (16,8 milliards), de l’Afrique de l’Est (14,8 milliards), de l’Afrique australe hors Afrique du Sud (10,1), de l’Afrique du Sud (9,5 milliards) et de l’Afrique centrale (5,3 milliards de dollars). Les engagements en faveur des opérations multirégionales sont quant à eux restés stables à 2,6 milliards de dollars en 2019 et 2,3 milliards de dollars en 2020, contre 2,4 milliards de dollars en 2018.

Les innovations financières, une opportunité pour mobiliser davantage les financements disponibles

En plus des données assez édifiantes, le rapport comporte également une analyse ainsi que des recommandations politiques et opérationnelles pertinentes à l’égard des décideurs et investisseurs et qui s’annoncent comme des solutions crédibles de nature contribuera à attirer plus de financements pour les infrastructures sur l’ensemble du continent africain. Comme le montre le rapport, le financement des infrastructures africaines provient de quatre sources. Il s’agit, premièrement, des gouvernements qui financent eux-mêmes une part importante des investissements dans les infrastructures (41 % du total en 2019-2020), un financement qui provient des recettes fiscales actuelles ou futures et qui est déployé par le biais du processus budgétaire national ou de l’émission d’obligations. Deuxièmement, les membres de l’ICA, en tant que partenaires des pays africains, financent des projets d’infrastructure par le biais de dons et de prêts (27 %). Troisièmement, les partenaires de développement qui ne sont pas membres de l’ICA (Chine, Groupe de coordination arabe, BERD, organisations bilatérales européennes non-membres de l’ICA, banques régionales de développement africaines, NBD, AIIB, Inde et Africa50) participent également au financement (14 %). Enfin, le secteur privé apporte sa puissance financière (18 %) pour financer certains nouveaux actifs d’infrastructure, nécessitant souvent un soutien tel que des garanties des gouvernements ou des Institutions financières internationales. Selon le rapport, depuis plusieurs décennies, « les infrastructures africaines n’ont pas été en mesure d’attirer suffisamment de fonds pour financer leurs investissements et l’entretien des actifs existants ». Il subsiste, en effet,  « un important déficit de financement qui handicape la compétitivité mondiale de l’Afrique, limite sa productivité et rend la vie plus difficile aux populations africaines ». Par ailleurs, les exportations sont plus coûteuses que dans d’autres régions, les ports africains étant inefficaces et le transport routier onéreux. Aussi, l’énergie électrique est difficile à obtenir et peu fiable. En outre, de nombreuses communautés sont privées d’eau potable et de services d’assainissement. Selon les auteurs du rapport, « seuls les actifs dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC) ont permis d’atteindre les objectifs d’accès internationaux, et ils ont été pour la plupart financés par le secteur privé, sans nécessiter le soutien des pouvoirs publics ». C’est pourquoi, les auteurs considèrent que les TIC sont une réussite notable en Afrique. « Outre les services de communication, les opérateurs de téléphonie mobile ont déployé des services financiers pour les clients à faible revenu, améliorant ainsi l’inclusion financière des pauvres », lit-on dans le document.

Contraintes et opportunités

Le rapport présente  aussi plusieurs messages clés dont le premier est relatif à l’insuffisance du financement des infrastructures qui résulte en grande partie du manque de viabilité financière du secteur.

 « Les mauvaises performances financières des services publics africains, qu’il s’agisse de l’électricité ou de l’eau, ne sont pas un phénomène récent. La question de la viabilité financière, due en grande partie à des tarifs qui ne couvrent pas suffisamment les coûts d’investissement, touche l’ensemble du secteur des infrastructures et le tourmente depuis des décennies. Cette question a été et reste une contrainte importante sur le financement disponible pour les nouveaux actifs, exacerbant le montant inadéquat du financement qui va vers le secteur à la fois pour les nouveaux investissements et pour l’entretien des investissements existants », ont mis en lumière les auteurs du document pour qui, il n’y a pas de solution miracle pour résoudre ce problème.

C’est pourquoi ils ont plaidé pour que les membres de l’ICA et les autres sources de financement travaillent  avec les services publics, les régulateurs et les décideurs au niveau national pour s’assurer que le secteur est bien géré et financièrement solide, avec des tarifs adéquats qui comprennent également, si besoin est, des subventions ciblées. « Des secteurs d’infrastructure bien gérés et bien financés sont essentiels pour augmenter la croissance économique et réduire la pauvreté et les inégalités », est-il indiqué. L’autre message clé qui ressort du rapport c’est que  la contribution du financement privé aux infrastructures est bien en deçà de son potentiel. Selon le document, les investisseurs institutionnels africains gèrent un montant très important d’épargne contractuelle  qui est estimé à 18.500 milliards de dollars en 2020, dont pratiquement aucun ne finance les infrastructures du continent. « Cette situation contraste avec la pratique en vigueur dans d’autres régions du monde », souligne les auteurs pour qui, « l’Afrique doit créer une classe d’actifs d’infrastructure qui puisse attirer le financement des investisseurs institutionnels ». Elle doit, de ce fait,  explorer la titrisation des actifs existants avec des flux de trésorerie stables pour attirer les investisseurs du secteur privé, recyclant ainsi les financements existants. Selon le rapport, certaines innovations intéressantes commencent à voir le jour dans ce domaine et méritent d’être envisagées pour être reproduites, comme, à titre d’exemple l’initiative InfraCredit au Nigeria et d’autres solutions qui ont fait leur preuve en Afrique et ailleurs.

Une initiative pour le développement des infrastructures en Afrique

Le Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA) est une initiative d’envergure visant à accélérer les progrès pour répondre aux besoins urgents de l’Afrique en matière d’infrastructures, afin de soutenir la croissance économique et le développement. Le secrétariat de l’ICA est hébergé par la Banque africaine de développement (BAD). Les membres actuels du Consortium sont : les pays du G7 (Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni et États-Unis) ; deux membres du G20 (Espagne et Afrique du Sud) ; et des banques multilatérales de développement (Afreximbank, Africa Finance Corporation, Commission de l’Union africaine, Agence de développement de l’Union africaine-NEPAD (AUDA-NEPAD), la Banque ouest-africaine de développement, la Conseil européen, la Commission de l’Union européenne, la Banque européenne d’investissement, la Banque islamique de développement, la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, le Groupe de la Banque mondiale, le Groupe Vinci et la Banque africaine de développement. Les Communautés économiques régionales  (CER) participent également aux réunions de l’ICA en qualité d’observateurs. Depuis sa création en juillet 2005, il y a dix-sept ans, l’ICA joue un rôle clé dans le soutien et l’intensification des programmes d’investissement pour le développement des infrastructures en Afrique. Il fournit une expertise et des orientations précieuses pour guider les investissements dans les programmes et projets prioritaires en Afrique.

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