Interview – Cheikh Oumar Ba : « IPAR est l’un des premiers think tank ouest-africains sur l’agriculture et le monde rural »

Dr. Cheikh Oumar Ba, directeur exécutif de l’IPAR et Président du Réseau des Think tank de l’UEMOA. (Crédit : Dr).

Partis du constat qu’en Afrique en général la prospective reste marginale, le Dr. Cheikh Oumar Ba et ses collègues ont créé l’Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR) en 2004. L’un des premiers think tank ouest-africains sur l’agriculture et le monde rural, l’IPAR mise sur la recherche, la renforcement des capacités et le dialogue politique. Au cœur des réflexions : le changement climatique, l’agriculture et l’agrobusiness, la migration et l’emploi des jeunes, la gestion des ressources naturelles et foncières. Afin d’appréhender ces problématiques, l’IPAR avec l’appui de partenaires institutionnels et non gouvernementaux, a adopté les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle (IA). A savoir le projet ClIM pour prédire les flux d’immigration, l’AGRIDATA sur les statistiques agricoles, le projet GRAIN relatif à l’égalité des genres. Aussi, Le projet Initiative pour le développement de l’Intelligence Artificielle (IDIA) vise à générer des connaissances sur les cadres politiques, réglementaires et juridiques dans 4 pays d’Afrique francophone.

AFRICA INCOME : Vous êtes un spécialiste du monde agricole et rural, des questions de genre et migration, pouvez – vous nous faire un retour sur votre parcours qui vous a conduit à la tête de l’IPAR (Intiative Prospective Agricole et Rural) ?

Dr. Cheikh Oumar Ba : Après avoir soutenu mon doctorat en anthropologie qui porte sur genre et migration dans la vallée du fleuve Sénégal, je me suis engagé en 1997 comme chercheur à l’institut sénégalais de recherches agricoles ou j’ai fini en 2004 comme directeur du Bureau d’analyses macro-économiques (BAME). Avec Jacques Faye et quelques autres collègues, nous avons mis en place IPAR en 2004 justement. L’importance de l’agriculture et du monde rural en Afrique de l’Ouest qui occupait encore plus de 70% de la population méritait une attention particulière au regard des fonctions que ce secteur assure et assume tant bien que mal. En effet, l’Afrique sub-Saharienne se présentait comme le seul continent en transition démographique, avec l’arrivée massive des jeunes sur le marché de l’emploi. Notre étude avec la BM, RuralStruc réalisée entre 2007 et 2009 avait conclu que 269 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché de l’emploi ; or, seul 10% trouvent un emploi formel. Nous sommes partis du constat qu’en Afrique en général et au Sénégal en particulier, la prospective n’est pas au cœur de l’action politique et reste souvent guidée par l’urgence. Deuxièmement, le secteur agricole en dépit des contraintes structurelles qui ne lui permettent pas de remplir ses principales fonctions (nourrir les populations, créer de l’emploi, fournir des devises pour l’État…), constitue l’exit option la plus sérieuse pour les décideurs politiques, à condition de structurer des réponses adaptées en termes d’infrastructures, de formation et d’investissement dans les chaines de valeurs pour nourrir les populations et créer des emplois décents. Aujourd’hui, nous totalisons 25 ans d’expériences en analyse et étude sur les enjeux et défis du monde rural Sénégalais et ouest-africain. IPAR s’est positionné comme l’un des premiers think tank ouest-africains sur l’agriculture et le monde rural. Au regard des défis démographiques, économiques et politiques à relever trois missions ont été assignées à notre think tank : recherche, renforcement des capacités et dialogue politique.

Le domaine agricole est un secteur sur lequel IPAR s’investit. Quels sont les projets agricoles majeurs sur lesquels vous travaillez actuellement ?

Pour rappel, la finalité poursuivie est de renforcer les capacités de nos partenaires dans la réflexion prospective et stratégique sur l’agriculture et le monde rural mais aussi de proposer des analyses concrètes suscitant la mise en œuvre d’alternatives aux tendances actuelles du développement agricole et rural au Sénégal et en Afrique de l’Ouest. A terme, il s’agit de participer à la création de capacités institutionnelles durables en matière de prospective agricole et rurale, de promouvoir et de soutenir des voies alternatives aux politiques et programmes en cours au Sénégal et dans la sous-région. Notre plan stratégique définit cinq principales thématiques d’intervention : la transformation structurelle de l’agriculture, la migration et l’emploi des jeunes, les changements climatiques ainsi que les objectifs de développement durable (ODD) et la gouvernance des ressources naturelles et foncières. Ces thématiques sont analysées à l’aune du devenir de l’agriculture et du monde rural sénégalais et ouest-africain.

Dans de récentes initiatives, l’IPAR a mis l’intelligence artificielle (IA) au cœur de ses débats. Comment comptez-vous intégrer l’IA dans vos projets ?

De nos jours, l’IA devient incontournable dans la planification des politiques de développement locales et constitue un levier important dans l’atteinte des ODD.  Dans cette dynamique, l’IPAR s’est positionnée dans la sphère de la réflexion sur l’IA et la production de données responsables en conduisant plusieurs projets en lien avec L’IA. Il s’agit essentiellement du projet GRAIN qui est un réseau sur le genre et l’Intelligence Artificielle Responsable coordonné par l’IPAR dans le cadre d’un consortium d’institutions de recherche fortes et innovantes visant à renforcer les capacités, faire du plaidoyer et mettre en œuvre un programme de recherche autour de l’IA responsable pour l’égalité des genres. Le projet Initiative pour le développement de l’Intelligence Artificielle (IDIA) vise à générer des connaissances sur les cadres politiques, réglementaires et juridiques en lien avec l’IA dans 4 pays d’Afrique francophone (Sénégal, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Bénin) afin d’informer les politiques et les stratégies pour une IA responsable. Le projet CLIMB vise à prédire les schémas de mobilité spatiale et temporelle en Afrique par le développement des modèles prédictifs basés sur l’intelligence artificielle afin de simuler des scénarii futurs de migration induite par le climat en Afrique et au-delà. Le projet AgriData est une plateforme mise en place par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) et l’IPAR, en collaboration avec l’ensemble des acteurs du secteur agricole au Sénégal qui vise à apporter au secteur agricole sénégalais des statistiques agricoles exhaustives et fiables pour constituer la base d’une politique de développement économique reposant sur des bases factuelles, tout en responsabilisant les agriculteurs et les autres acteurs de la chaîne de valeur.

Quels sont vos principaux partenaires ?  Qu’attendez-vous de l’Etat sénégalais et de vos partenaires ? De quels outils techniques et financiers avez-vous le plus besoin pour mener à bien vos projets ?

Nos principaux partenaires sont d’abord les populations au nom desquelles nous intervenons et leur soutien indéfectible constitue notre source d’inspiration et d’engagement. Je confonds dans les populations les femmes et les jeunes, les organisations paysannes et leurs représentant aussi bien dans l’exécutif que dans le législatif. Nos partenaires financiers varient des fondations américaines, notamment Hewlett aux institutions de recherches internationales qui ont cru en nous depuis 15 ans, comme le CRDI. Pour le reste, nous répondons à des appels d’offres internationaux avec l’USAID, l’Union européenne (UE), la Fondation Bill and Melinda Gates, SUA… et accompagnons les gouvernements africains, notamment au Sénégal (siège), en Mauritanie (antenne) et au Niger (jusqu’à récemment) ou nous disposons de bureaux.

L’IPAR définit ses domaines d’intervention autour de trois axes majeurs :  La recherche et la prospective, la formation et le renforcement de capacités, l’animation d’espaces d’échanges et de débats. Quel bilan d’étape faites-vous de chacun de ces axes ?

Le principal bilan est en cours de systématisation dans le cadre de notre parcours institutionnel. Au lendemain de notre reconnaissance officielle en 2008, IPAR comptait 3 agents. Aujourd’hui, nous accueillons plus de 60 experts, sans compter d’une dizaine de chercheurs associés affiliés dans des universités et centres de recherche aussi bien au Sénégal que dans le reste de l’Afrique.

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Nos principaux acquis vont de la reconnaissance de nos partenaires et de la confiance qui justifient le recours régulier à nos travaux de recherche et à notre expertise. Aujourd’hui, nous intervenons dans des programmes associant des équipes de la NASA sur l’impact des changements climatiques à l’horizon 2030. Cette reconnaissance nous a valu d’être choisi par le Secrétaire général des Nations-Unies, à travers le Dr Ibrahima Hathie, chercheur émérite de l’IPAR, comme l’un des quinze chercheurs à l’échelle mondiale pour écrire le rapport mondial sur le développement durable.  A titre d’exemple, le ministère de l’agriculture du Sénégal nous a choisi pour élaborer le COMPACT agriculture pour financer avec la BAD sa stratégie pour l’atteinte de la souveraineté alimentaire. Il en a été de même quand le ministère en charge de la femme pour accompagner la tenue des premières assises de l’Entreprenariat féminin et de l’autonomisation de la femme présidées par le Président de la République du Sénégal. En Mauritanie, lors du conflit ayant opposé des populations du Sud à un projet financé par la BM, le gouvernement mauritanien nous a sollicités pour aider par la recherche et le dialogue à contribuer à la résolution du différend opposant des communautés de Ferallah (Brakna) à d’autres populations et qui s’est terminé par la signature d’une entente foncière ayant permis le projet de reprendre son intervention. Soucieux de l’impact de son intervention, l’IPAR a ouvert des chantiers de territorialisation des politiques publiques, avec une expérimentation dans le département de Podor au Sénégal.

Propos recueillis par Maimouna DIA

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