Télécoms: l’Afrique de l’ouest face à la gronde des consommateurs contre la cherté du coût d’internet

Dans leur fronde, les utilisateurs des services télécoms n'hésitent, en effet, pas à faire des comparaisons entre les pays de la sous-région mais aussi avec les prix pratiqués dans d'autres régions notamment les pays anglophones comme au Ghana ou au Nigeria, où les coûts sont nettement plus abordables. (Crédit : Dr, AI).

Depuis quelques semaines, on assiste à une véritable levée de boucliers des abonnées des principaux opérateurs télécoms dans plusieurs pays d’Afrique de l’ouest qui jugent le coût des services excessifs. Une grogne provoquée par la récente hausse des tarifs de certaines offres, notamment l’Internet mobile,  annoncée dans certains pays et qui se manifeste par des appels spontanés à des mouvements de boycott qui s’amplifient sur les réseaux sociaux. Malgré la suspension des nouveaux réajustements, le mécontentement ne semble pas faiblir et partout sur les réseaux sociaux (où s’organise pour l’essentiel de la fronde), les utilisateurs et autres associations de consommateurs réclament plus qu’un simple réajustement des offres. Ils exigent une véritable baisse du coût des services pour tenir compte du pouvoir d’achat des populations. Une fronde contre l’inflation qui s’étend dans tous les pays de la zone UEMOA et qui pourrait bien s’étendre à d’autres secteurs où l’inflation devient de plus en plus prononcée.

Ce que l’explosion vertigineuse des prix des produits alimentaires n’a pas pu provoquer en Afrique de l’ouest, celle des services télécoms est en train de l’engendrer: une levée de boucliers généralisée contre la hausse des coûts des tarifs internet. Alors que malgré une inflation qui s’est hissé à 12% l’année dernière ans la zone UEMOA pour les produits de première nécessité, et même 50% ailleurs dans la sous-région comme au Ghana, il a fallut d’un simple réajustement du tarif des offres par certains opérateurs au Niger, au Sénégal ou en Côte d’ivoire, pour que la fronde des consommateurs s’organise et engendre un véritable mouvement de contestation qui s’est par la suite étendue non seulement aux pays voisins mais aussi et surtout contre la cherté des coûts de la téléphonie mobile notamment les forfaits internet. Dans leur collimateur, les géants télécoms qui se partagent le marché de la sous-région: Orange, MTN, Moov…

Au Niger l’Etat recule face à la pression

Au Niger, en janvier dernier, les clients des principaux opérateurs du pays ont été surpris par une soudaine et brusque hausse des tarifs. Officiellement, ont expliqué les compagnies télécoms, cette hausse consacre l’application d’une décision du régulateur, l’Autorité de régulation des communications électroniques et de la poste (ARCEP), qui selon sa présidente Mme Béty Aichatou Oumani, vise à règlementer les promotions organisées par les opérateurs et  fixer les tarifs planchers en fonction des coûts encourus par les opérateurs pour rendre leurs services. règlementer les promotions organisées par les opérateurs et  fixer les tarifs planchers en fonction des coûts encourus par les opérateurs pour rendre leurs services.

«La fixation de ces tarifs planchers vise à éviter la pratique du dumping observée chez certains opérateurs et éloigner le risque de banqueroute qui guette le secteur dont plus de la moitié des opérateurs présentent des résultats négatifs selon les états financiers certifiés par des commissaires aux comptes agréés», avait-elle, à l’époque déclaré.

Cependant, face à la levée de boucliers que cette décision a provoquée  chez les abonnées, le gendarme des télécoms nigérien ainsi que les opérateurs télécoms ont dû d’un commun accord, suspendre l’application des nouveaux tarifs jugés prohibitifs.

En Côte d’ivoire, c’est presque au même scénario  qu’on assiste depuis le début de ce mois d’avril et la contestation ne semble pas faiblir en dépit de la décision de suspendre la nouvelle hausse des services internet annoncée le 7 avril par certains opérateurs. Face au mécontentement des clients qui s’est fait virulent sur la toile, le gouvernement a fait pression sur les compagnies télécoms qui ont été rappelé à l’ordre par l’Autorité de régulation des télécommunications/TIC de Côte d’Ivoire (ARTCI). Les appels au boycott se succèdent depuis et le sujet a même pris une tournure d’affaire d’état avec des personnalités politiques, des célébrités et d’autres activistes et influenceurs qui se sont joints aux associations de consommateurs pour dénoncer « des hausses injustifiées ».

« La mesure d’augmentation des coûts des data est illégale et doit être retirée puisqu’elle fait augmenter de façon totalement indécente les coûts de la connexion en Côte d’Ivoire et exclut de l’accès internet nos étudiants, nos élèves, les Ivoiriens qui sont en difficulté financière.», s’est insurgé le député Assalé Tiémoko qui depuis, a pris la tête d’un mouvement de contestation très actifs sur les réseaux sociaux.

«Boycott citoyen» contre des tarifications des offres jugées «excessifs»

Ce n’est certes pas la première fois que de telles initiatives sont lancées un peu partout dans certains pays de la sous-région suite à l’annonce des hausses des tarifs des services de téléphonie mobile et surtout d’internet. Cette fois pourtant, les grands opérateurs qui sont dans le collimateur prennent les mouvements de contestation au sérieux. La particularité est que cette fois, la suspension des ajustements des tarifs ne semblent pas satisfaire les clients qui ne demandent ni plus et ni moins qu’une baisse significative du coût des services qu’ils jugent «excessifs». La contestation s’est d’ailleurs étendue à d’autres pays comme au Sénégal où un appel au boycott de ses produits  a été lancé par l’Association des clients et sociétaires des institutions financières (ACSIF) pour protester contre le changement tarifaire sur l’offre « Flybox » de l’opérateur et  fournisseur d’accès internet Orange (Groupe Sonatel). Dans d’autres pays de la sous-région, la grogne contre la cherté des services télécoms en particulier l’internet mobile a enflé alors qu’aucune hausse des tarifs  n’a été décidé par les opérateurs. C’est le cas au Burkina Faso où un appel à mettre les Smartphones sur « mode avion » pendant une heure (de 11h à midi) a été bien observée ce mardi 18 avril 2023 selon les Associations des consommateurs qui ont été à l’initiative du mouvement qu’elles comptent poursuivre. Au Togo ou au Bénin voisin, la toile s’enflamme aussi par des appels au «boycott citoyen» pour faire pression sur les opérateurs et les obligés les opérateurs à revoir leur tarification à la baisse.

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Pour l’heure,  les autorités politiques observent une certaine neutralité au nom des lois sur la libéralisation du secteur et donc le jeu de la libre concurrence ainsi que l’indépendance des régulateurs. Ces derniers sont les plus critiqués d’autant que mis en cause dans un premier temps, les opérateurs télécoms ont justifié leur décision de réajuster les prix des offres par les nouvelles règles édictées par les gendarmes des télécoms pour réglementer le secteur. Des mesures qui, à priori, étaient de bonnes intentions puisque comme au Niger, en Côte d’ivoire aussi le but visé par l’Autorité de régulation était «d’assainir la concurrence entre les opérateurs, assurer la protection des consommateurs et assurer un développement pérenne du marché de la téléphonie mobile», comme elle l’a indiqué dans un communiqué pour expliquer sa démarche.

« Nous protestons contre l’ARTCI pour sa décision incompréhensible et contre les opérateurs pour leur cupidité et pour l’ensemble de leurs œuvres contre les Ivoiriens, depuis des décennies. », s’emporte par exemple le député ivoirien  Assalé Tiémoko.

Cloués au pilori au même titre, les régulateurs et les opérateurs ont été obligé de s’entendre pour contenir la fronde. Au Niger, après une réunion sur la situation engendrée par la hausse des tarifs, l’ARCEP et l’association des compagnies télécoms ont parlé «d’incompréhension dans la mise en œuvre des nouvelles mesures» pour revenir sur la décision et en Côte d’ivoire, l’ARTCI s’est plutôt abritée derrière un «vice de forme» pour donner acte à l’injonction du gouvernement de revenir sur les hausses des offres annoncées. Au Burkina Faso, dans une intervention télévisée en début de cette semaine pour essayer de calmer le mécontentement des consommateurs qui ne cessent de prendre de l’ampleur,  la Directrice de la régulation des marchés fixes et mobiles de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP-Burkina), Salamata Rouamba, a expliqué qui si l’institution a un rôle à jouer dans l’encadrement des prix du gros c’est-à-dire entre opérateurs, celui du détail qui est appliqué aux abonnés est laissé à la libre décision des opérateurs au nom des textes régissant la libéralisation des prix. Pas assez pour contenter les utilisateurs qui, à travers les différentes associations de consommations et les autres plateformes, continue de réclamer une baisse des coûts de la connexion internet.

Un mécontentement qui se généralise pour une baisse des coûts de l’Internet

Au Mali, au Bénin ou au Togo, c’est aussi le même mécontentement qui se poursuit sur les réseaux sociaux avec des appels au boycott des produits des services proposés par les opérateurs ou des opérations téléphones sous « mode avion » pendant quelques heures à des journées bien choisies. Le mouvement semble bien prendre à en juger par son ampleur sur les réseaux sociaux même si les données sur l’impact réel de ces mots d’ordre de boycott sont difficiles à estimer même auprès des opérateurs.  La fronde ne semble pas prête de s’estomper malgré les assurances données par les autorités comme en Côte d’ivoire où le gouvernement a engagé l’ARTCI « à poursuivre les discussions avec les différents opérateurs pour préserver les intérêts des consommateurs mais aussi permettre au secteur de rester en équilibre », selon les déclarations du ministre Amadou Coulibaly, en charge de la Communication. Au Sénégal, l’ARTP joue la carte de l’apaisement et « invite les parties prenantes à la retenue et à l’usage des moyens légaux de saisine du régulateur pour que leur cause soit entendue, conformément aux textes en vigueur ». Au Burkina comme au Niger, les Autorités de régulation affirment avoir engagées des discussions avec les opérateurs pour que les prix des offres soient étudiés en se référant à ceux pratiqués dans la sous région.

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Dans leur fronde, les utilisateurs des services télécoms n’hésitent, en effet, pas à faire des comparaisons entre les pays de la sous-région mais aussi avec les prix pratiqués dans d’autres régions notamment les pays anglophones comme au Ghana ou au Nigeria, où les coûts sont nettement plus abordables. Ce que confirme d’ailleurs les données disponibles comme les résultats de l’étude  « Worldwide Mobile Data Pricing 2022 » du site britannique Cable.co.uk, qui compare le coût moyen d’un gigaoctet (1 Go) d’Internet mobile à partir de plus de 5.000 forfaits dans 233 pays et territoires, a révélé que parmi les 13 régions étudiées, les coûts sont plus élevées en Afrique subsaharienne notamment dans les pays de l’UEMOA pour ce qui est de l’Afrique de l’ouest. Bien que le rapport ainsi que d’autres qui portent sur le même sujet confirment que les prix ont drastiquement baissé ces dernières années, le coût moyen de l’Internet mobile dans la sous-région reste toujours assez élevé surtout si on le rapporte au pouvoir d’achat des populations. Avec le niveau moyen de dépenses quotidiennes qui est toujours inférieur à 5 dollars par jour dans une majorité de pays,  le prix moyen de l’internet dans les pays de la sous-région est de 3,06 dollars, soit plus de 1 800 FCFA le gigaoctet. Au Togo par exemple, il est de 12,94 dollars en moyenne pour un giga-octet d’internet, ce qui fait du pays, le plus cher de la sous-région en matière de coût d’internet mobile. A contrario relève l’étude, au Bénin le prix d’un gigaoctet a été divisé par sept, passant de 27,22 à 3,61 dollars entre 2020 et 2021. Au Mali et au Niger, également, les prix ont connu une baisse sensible ces derniers années et au Sénégal, la Sonatel (Orange) a avancé avoir divisé par deux les coût d’accès aux services de l’internet mobile depuis 2016.

L’inflation en ligne de mire

 Dans l’ensemble donc et malgré des prix supérieurs en moyenne au reste du monde, de nombreux pays africains, notamment dans la zone UEMOA, ont connu des baisses spectaculaires au cours des dernières années. Ce qui ne semble pas contenter les consommateurs qui s’indignent des récentes hausses des tarifs opérées par les compagnies de téléphonie mobile et qui ont été visiblement la goutte qui a fait déborder le vase. Désormais donc, en plus d’une amélioration de la qualité des services, les utilisateurs réclament une baisse des prix pou tenir compte de leur pouvoir d’achat. La grogne n’est pas prête de s’estomper à l’allure où vont les choses et à défaut d’un encadrement au niveau régional, comme annoncé depuis des années par la Cédéao qui s’est saisie de la question, les sociétés télécoms ainsi que les autorités de régulation continuent d’être dans le viseur des consommateurs.  Au regard de l’ampleur de la fronde, certains analystes n’écartent d’ailleurs pas le risque que cette grogne s’étende à d’autres secteurs comme les offres d’abonnement à la télévision payante où les services d’eau et d’électricité! De quoi augurer de mauvais jours pour les multinationales qui ont pignon sur rue dans la sous-région et qui doivent se confronter à ce qui ressemble à un éveil des consciences des clients et autres utilisateurs des services locaux…

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