C’est le scénario catastrophe pour l’économie soudanaise avec le retour de l’instabilité politique depuis le déclenchement de la guerre que mène, depuis presque une semaine, l’armée loyaliste dirigée par le chef de la transition, le général Abdel Fattah al-Burhane, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) de son désormais ex vice-président, le général Mohamed Hamdane Dagalo dit «Hemetti». Alors qu’aucune solution pacifique ne semble encore se dessiner faisant amplifier les risques d’une nouvelle guerre civile dans le pays, l’économie du pays déjà pénalisée par des années d’instabilité et de sanctions économiques, voit ses perspectives contrariées par ce nouveau saut dans l’inconnu qui renvoie aux calendes grecques, un retour des investisseurs l’aide internationale. Cette dernière reste, en effet, conditionnée par un retour des civils au pouvoir et le pays en a grandement besoin pour faire face à une double crise économique et humanitaire et engager la relance de sa stratégie de développement, prise en otage par des décennies d’incertitudes.
Près de 300 civils tués, plus de 3.000 blessés et quelques 5 millions de personnes cloitrées à Khartoum où ils sont privés d’eau et d’électricité depuis des jours. C’est le macabre bilan dressé ce jeudi par l’ONU des six jours d’affrontements entre l’armée régulière soudanaise et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). Des chiffres provisoires qui sont en déjà de la réalité puisque malgré les appels à une trêve, les violents combats se poursuivent dans la capitale mais aussi dans plusieurs autres villes du pays, ce qui rend difficile l’assistance aux victimes.
Depuis le samedi 15 avril 2023, le Soudan est de nouveau en proie à une instabilité politique qui se traduit cette fois par de violents affrontements, avec utilisation d’armes lourdes et de l’aviation militaire, entre l’armée que dirige le général Abdel Fattah al-Burhane et les FSR du général Mohamed Hamdane Dagalo dit « Hemetti ». La conséquence directe de plusieurs semaines de vives tensions, sur fonds d’enjeux géopolitiques, entre les deux principaux « généraux » à la tête du pays, le président et le vice-président du Conseil souverain de transition, l’organe qui dirige le pays depuis les évènements politiques d’avril 2019 et dont la rivalité est en train de virer pour le pays à une véritable guerre civile dont l’issue reste pour le moment incertaine.
Cycle d’instabilité sur fonds de tensions et de rivalité
Le Soudan renoue donc avec ses démons du passé avec les décennies d’instabilité politique et de crise sécuritaire qui ont jalonnées l’histoire politique du pays depuis son indépendance. En 2019 pourtant, le 11 avril exactement, le pays avait renoué avec l’espoir avec la chute, suite à un coup d’état militaire et sous pression de la rue, du régime d’Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 1989. Le processus qui a été initié devrait se traduire à un transfert du pouvoir à un gouvernement civil après une transition démocratique qui devrait en principe intervenir en fin 2023. Un Conseil souverain de transition a été mis en place dirigé par le général Al Burhan et secondé par le général « Hemetti ». Un gouvernement civil a été également mis en place sous la direction de l’économiste Abdallah Hamdok. Le Soudan commençait pourtant à relever la tête avec, entre autres, la levée des sanctions économiques américaines qui frappaient le pays depuis les années 2000 ainsi que l’embargo sur les armes imposé par l’ONU en 2005 pendant le conflit du Darfour, dans l’ouest du pays. En 2020, Washington avait même retiré le Soudan de sa liste noire des pays qui soutiennent le terrorisme et l’aide internationale a commencé à revenir à compte gouttes.
Le 25 octobre 2021 pourtant, alors que le processus de transition suivait tant bien que mal son cours, un autre putsch a été opéré par les deux généraux qui ont mis fin à la cohabitation avec les civils. Le général Abdel Fattah al-Burhane avait par la suite dissout le gouvernement intérimaire, expurgé le Conseil souverain de transition de son bloc pro-civils et placer en résidence surveillée le premier ministre Abdallah Hamdok avant de déclarer l’état d’urgence et de suspendre la charte constitutionnelle qui organisait le partage du pouvoir. Selon plusieurs analystes, cette situation a été engendrée par la crainte des militaires de perdre leurs intérêts économiques et d’être poursuivis pour leurs actions contre la population en cas de remise du pouvoir aux civils. Face aux militaires, la Coalition des Forces de la liberté et du changement, qui regroupent des partis politiques et associations ainsi que des comités de résistance populaire qui ont été les fers de lance de la révolution de 2019, ont continué à exiger le retrait des militaires de la vie politique.
Durant toute l’année 2022, le pays était paralysé par des manifestations, assez souvent violemment réprimées, jusqu’au 05 décembre 2022 où un nouvel accord préliminaire entre la Coalition et les militaires est venu détendre l’atmosphère avec de nouveau, un nouvel espoir de retour à l’ordre constitutionnel normal. C’est dans ce contexte que de nouvelles tensions sont apparues entre les deux généraux à la tête de l’exécutif et qui ont fini par déclencher une guerre qui renvoie encore le pays dans l’impasse politique et surtout un conflit meurtrier.
Des perspectives économiques prises en otage par un nouveau cycle de violences et d’incertitudes
Cette nouvelle guerre déclenchée au Soudan s’annonce comme le scénario catastrophe pour ce grand pays d’Afrique de l’Est, l’un des plus pauvres du monde et dont l’économie est plus qu’exsangue en raison des années de sanctions économiques américaines sous Béchir, de l’indépendance en 2011 Sud Soudan, riche en pétrole ainsi que par l’instabilité politique.
La transition démocratique entamée en 2019, bien que fragile et suspendue jusqu’en fin 2022, avait pourtant augurer de bonnes perspectives pour le pays qui a même commencé à négocier avec des bailleurs de fonds et selon ce qu’il a été convenu avec les institutions financières internationales la reprise progressive de l’aide budgétaire devrait intervenir fin 2023, à condition que la transition se poursuit en bon ordre. Le Soudan aurait dû bénéficier d’ici la fin d’année de près de 3 millions de dollars d’aide extérieure, notamment de la Banque mondiale et des Etats-Unis, un appui indispensable pour stabiliser et relancer une économie à bout de souffle.
En manque de financements extérieurs, et bien que atténué par des flux entrants du Golfe), la monétisation du déficit a alimenté l’hyperinflation à 3 chiffres. Avant le gel de l’aide, les prêts concessionnels et dons auraient dû représenter un tiers des revenus sur 2021-22. Depuis le coup d’Etat, des prêts de 2 milliards de dollars de la Banque mondiale destinés au financement du programme Thamarat d’allocations familiales ainsi que 700 millions de dollars des Etats-Unis ont été suspendus. En hausse, les recettes budgétaires ne représenteraient toutefois qu’environ 10% du PIB en 2023 et les dépenses 12,4%. Selon l’analyse de Coface, pour atteindre une stabilité macroéconomique, le Soudan dépend donc encore de l’assistance financière des partenaires étrangers (Etats-Unis, FMI, Banque mondiale, France, Etats-Unis, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Egypte), elle-même fonction de leur acceptation des nouveaux arrangements institutionnels. Avec l’aide budgétaire qui a été coupée après le coup d’Etat et, en l’absence de retour à un gouvernement civil, le Club de Paris a suspendu son programme de réduction et de restructuration de la dette en juin 2022. En un sens, l’accord trouvé fin 2022 a donc probablement été motivé en partie par les besoins de financement du pays, ce qui comme mentionné plus haut, devrait se traduire par une reprise progressive de l’aide budgétaire internationale qui devrait intervenir fin 2023, si la transition se poursuit en bon ordre. Par ailleurs, les cours élevés des matières premières alimentaires alourdissent la facture des importations, ce qui met la balance des paiements et la monnaie sous pression. S’étant fortement déprécié depuis 2018 et 2021 surtout, la livre soudanaise devrait commencer à se stabiliser, aidée dans le cas d’une reprise du soutien financier extérieur. D’après les mêmes projections, la balance commerciale pourrait tendre vers l’équilibre, en raison des difficultés du gouvernement à financer les déficits et de la compression subséquente des importations. A travers leurs investissements, en effet, les pays du Golfe apportent des devises et suppléent un Etat presque défaillant.
Malgré les risques liés à l’instabilité politique, les perspectives économiques du Soudan commençait à s’améliorer dans l’optique d’un processus normal de la transition qui devrait déboucher sur des élections et un retour du pouvoir aux civils. Le PIB du pays a été estimée à 2,5 % en 2022 et devrait grimper à 4,5 % en 2023, tiré par l’agriculture et l’exploitation minière et par la consommation et l’investissement privés. Les efforts qui étaient en cours pour former un gouvernement civil aurait dû, en effet, restaurer la stabilité politique et accélérer les réformes macroéconomiques et structurelles. Par conséquent, il est prévu que l’inflation chute à 246,4 % en 2022 puis de nouveau à 115,7 % en 2023. Aussi, la rationalisation des dépenses publiques devrait réduire le déficit budgétaire à 3,0 % du PIB en 2022 et à 3,2 % en 2023, grâce aux emprunts intérieur et extérieur et aussi en partie par l’allocation de DTS du Soudan qui équivaut à un total à 3,4 % du PIB. Le déficit du compte devrait lui se réduire à 6,4 % du PIB en 2022 puis à 3,9 % en 2023, reflétant ainsi les réformes structurelles en cours.
C’est malheureusement toutes ces belles perspectives que le nouveau conflit en cours est venu contrarié. En plus de l’impasse politique qui se dessine sur fonds de risque de guerre civiles prolongée, l’économie est de nouveau prise en otage alors que des millions de soudanais sont confrontés à une crise alimentaire sans précédent qui plus est, se trouve aggravée par d’autres chocs liés à la conjoncture mondiale mais aussi les effets du changement climatique avec des cycles de sécheresse et d’inondations que connait l’un des pays les plus vastes du continent aux atouts stratégiques pourtant prometteurs.