Sénégal- La Cour des Comptes confirme la gabegie sous Macky Sall

Depuis la publication de l’audit du rapport sur la situation des finances publiques gestions de 2019 au 31 mars 2024, par la Cour des Comptes (CC), les suspicions de très mauvaise gouvernance du régime sortant au Sénégal se renforcent. Les scandales ont pour nom une dette abyssale à la hauteur du PIB, loin des critères de convergence de la Cedeao, et en dehors des circuits autorisés, des crédits et commissions accordés sans pièces justificatives, etc.  

Depuis la présidentielle du 24 mars 2024, un nouveau pouvoir détient les rênes au Sénégal. Il s’agit d’une nouvelle équipe, dirigée par le Président Bassirou Diomaye Diakhar Faye et son gouvernement à la tête duquel le Premier ministre Ousmane Sonko. Ce dernier, entouré de plusieurs membres du gouvernement alertait déjà au mois de septembre 2024 sur l’état des finances publiques héritées du régime précédent. Cette sortie avait permis de partager un écart de près de 2 000 milliards de dettes à régler mais qui n’étaient pas traçables.  

Le rapport de la Cour des Comptes sur la situation des finances publiques, établi conformément à la loi n°2012-22 du 27 décembre 2012 portant Code de Transparence dans la Gestion des Finances publiques vient confirmer une situation pire que celle présentée alors par l’Exécutif et transmis le 18 septembre 2024.  Comme le précisent les auteurs, l’objectif général de l’audit est de s’assurer que le rapport produit par le Gouvernement rend compte fidèlement de la situation budgétaire et financière de l’Etat de 2019 au 31 mars 2024. Il s’agit de vérifier que les données et informations budgétaires et financières du rapport sont exactes et exhaustives, de s’assurer que les données et informations budgétaires et financières du rapport sont adéquatement retracées en comptabilité. A noter que cet audit est le premier du genre, étant donné qu’en 2019, le Gouvernement n’avait pas établi de rapport sur la situation des finances publiques.

La partie émergée de l’iceberg

Il est important de préciser que les travaux portent sur la situation des finances publiques, notamment les opérations, relatives au budget général (recettes et dépenses), aux comptes spéciaux du Trésor (CST), à la gestion de la trésorerie de l’Etat et à la situation de l’endettement de l’administration centrale budgétaire. La situation de la commande publique a été exclue du périmètre, en raison de contraintes de délais et de l’étendue des travaux.

L’audit de la CC révèle des discordances sur les données des ressources extérieures et des variations notées dans les situations produites par la DODP (Direction de l’ordonnancement des dépenses publiques) … Une suspicieuse mauvaise gestion défraie la chronique au Sénégal, au moment où la Banque mondiale publie son Rapport 2024 sur la Pauvreté, la prospérité t la planète (3PR). Il se pose avec acuité, l’efficacité des politiques de développement sur la réduction de la pauvreté. En témoigne, le nouvel indicateur utilisé par la Banque mondiale pour mesurer la prospérité partagée, à savoir l’écart de prospérité ou coefficient moyen par lequel les revenus devraient être multipliés pour atteindre un seuil de prospérité de 25 dollars par personne et par jour (exprimé en PPA de 2017). Cette norme de prospérité correspond au revenu d’un individu moyen vivant dans un pays en voie de se classer parmi les économies à revenu élevé. La Banque mondiale rappelle qu’en 1990, 14 % des personnes vulnérables dans le monde vivaient en Afrique. En 2019, 57 % d’entre elles dans le monde vivaient en Afrique au sud du Sahara.

Dettes dissimulées

Sur deux chapitres, à savoir « Opérations du budget général et des comptes spéciaux du Trésor » et « Gestion de la trésorerie et situation de l’endettement », l’audit de la CC décline en quelques chiffres une gestion qui peut être qualifiée de désastreuse du Sénégal, sous la période sous revue. Des discordances sur les données des ressources extérieures et des variations notées dans les situations produites par la DODP. L’audit dévoile aussi des pratiques impactant la trésorerie de l’Etat, des manquements dans la gestion des dépôts à terme (DAT), une absence de concordance entre le compte « DAT-TG Banques commerciales » de la balance du TG et la situation de suivi extracomptable.

A titre d’exemples, il a été révélé des DAT encore disponibles dans les livres des banques, des DAT cassés et non reversés au Trésor public, un reliquat de 114,4 milliards de F CFA de l’emprunt obligataire (Sukuk SOGEPA) de 2022 non versé au Trésor public… Quant à la dette garantie (535 milliards de F CFA), la situation laissée par le régime sortant est non exhaustive.  Ce montant est différent de celui communiqué à la Cour par le Ministère de l’Economie, du Plan et de la Coopération (MEPC) et le Ministère des Finances et du Budget (MFB). Les conventions de garantie signées par le Ministre de l’Economie, du Plan et de la Coopération d’un montant de 1 645,61 milliards de F CFA concernent des projets phares, notamment dans le secteur de l’énergie. En outre, une importante dette bancaire a été contractée hors circuit budgétaire. Le rapport du Gouvernement, établi sur la base des déclarations des banques, fait ressortir une importante dette bancaire non retracée dans les comptes de l’Etat. Ainsi, au titre des crédits directs à l’Etat central un encours de 2 044,01 milliards de F CFA et des certificats nominatifs d’obligations (CNO) de 190,05 milliards de F CFA, soit un total de 2 234,06 milliards de F CFA, au 31 mars 2024.

Scandale des CNO

Ces certificats nominatifs d’obligations (CNO), émis par l’Etat du Sénégal, durant la période sous revue, sont évalués à 546,70 milliards de F CFA et des intérêts de 58,99 milliards de F CFA. Tenez-vous bien, ce montant inclut les CNO émis au nom de personnes morales et qui ne sont pas adossés à des obligations résultant de conventions de crédit bancaire.

La Cour a relevé 6 CNO émis au nom de BDK (Banque de Dakar) et signés le 27 mars 2024 pour titriser un montant de 117,16 milliards de F CFA en paiement à des échéances de prêt 2023 et 2024. A ce niveau l’Etat doit supporter le paiement d’un montant de 121,2 milliards de F CFA incluant les intérêts. Quelque 40 CNO, émis le 10 avril 2020, pour un montant total de 122,39 milliards de F CFA au profit de LOCAFRIQUE, dans le cadre de la titrisation de la créance de la SAR sur l’Etat du Sénégal. Il importe de souligner le rachat de certains de ces titres par Coris Bank, pour un montant de 42,39 milliards de F CFA, et remboursé à l’occasion de la souscription à l’appel public à l’épargne-Etat du Sénégal 2022-2034. Par ailleurs, l’audit a trouvé 04 CNO, émis le 29 mars 2024, au nom de LANSAR AUTO SUARL, pour un montant de 16,57 milliards de F CFA, pour le règlement de factures relatives à la « location de véhicules au profit des services de l’Etat et du transport des hôtes de l’Etat entre 2020 et 2023 pour une durée maximale de 12 mois ». Une partie de cette créance résulte d’un contrat, signé le 2 janvier 2023, par le Directeur de l’Administration et du Personnel de la Direction générale du Budget.

Cette liste est loin d’être exhaustive et comprend 03 CNO, émis le 26 mars 2024, pour un montant de 5,96 milliards de F CFA résultant de frais encourus par SYNERGIES Afrique (4 903 843 656) ET HENAN Chine (791 065 500) du fait d’évènements constitutifs de force majeure et d’obligation d’indemnisation à la charge de l’Etat conformément aux clauses du contrat de marché (dommages subis lors des émeutes du 9 février 2024, selon la convention). Pour un d’un montant total de 121,61 milliards de F CFA, ce sont 12 CNO qui ont été émis, le 20 mars 2024, dont des intérêts de 18,62 milliards de F CFA, au profit de A.D.CON.LTD. (« A.D. IS ») et A.D. TRADE BELGIUM BV pour la fourniture de divers biens et services non précisés. A cela s’ajoutent 9 CNO, d’un montant total de 100,29 milliards de F CFA, émis le 08 septembre 2023 (20 milliards de F CFA), le 28 décembre 2023 (45,10 milliards de F CFA) et le 28 février 2024 (35,19 milliards de F CFA), au profit de Coris Bank, et ayant respectivement pour objet le paiement de la dette de l’Etat du Sénégal à l’égard de SOFICO, résultant de diverses transactions, le règlement des échéances de crédits, juin à décembre 2023, et de la facture relative au marché de fourniture d’équipement de sécurité et de matériel technique au profit du Ministère de l’Environnement et la titrisation de diverses créances dues à CBI.

Ce n’est pas tout, la CC mentionne que l’Etat a signé des conventions de substitution de débiteurs pour un montant total de 238,19 milliards de F CFA avec les institutions financières.

Une dette et son service élevés

Le montant du service de la dette sur la période sous-revue s’élève à 2 497 milliards de F CFA. Ainsi réparti, à savoir un amortissement à 2 147,22 milliards de F CFA, des intérêts de crédit à 298,77 milliards de F CFA, des intérêts et pénalités de retard à 21,73 milliards de F CFA et des commissions et autres frais à 29,28 milliards de F CFA, ce service de la dette vient s’ajouter à des déficits budgétaires supérieurs à ceux affichés dans les documents de reddition. En définitive, c’est un encours de la dette qui est supérieur au montant figurant dans les documents de reddition qui a été trouvé. La CC dévoile une dette totale de 18 558,91 milliards F CFA (99,67% du PIB) !

L’écart global entre la dernière situation produite par la DODP et celle figurant dans le rapport du Gouvernement est de 143,98 milliards de F CFA. Par ailleurs, la Cour a procédé à un échantillonnage de 9 bailleurs (Banque mondiale, Banque africaine de Développement, Banque islamique de Développement, Agence française de Développement, BOAD, Chine, USAID, Société générale et Standard Chartered Bank) dont les financements couvrent 97,84% des ordonnancements des dépenses sur ressources extérieures sur la période de 2019 à mars 2024.

Le quasi-doublement de la masse salariale en 4 ans

Au cours du dernier mandat de Macky Sall, la masse salariale, constituée uniquement des charges de personnel de la Fonction publique, payée par la Direction de la Solde, est passée de 744,96 milliards de F CFA en 2019 à 1 303,50 milliards de F CFA en 2023, soit une évolution de 74,97%.

La gabegie est aussi matérialisée par ces Services non personnalisés de l’État (SNPE), entités dépourvues de personnalité juridique, qui ont bénéficié, durant la période sous revue, de transferts budgétaires d’un montant total de 2 562,17 milliards de F CFA, représentant 28,06% des transferts globaux du budget général. La CC souligne que l’Etat ne doit pas accorder à ses propres services des transferts de crédits ; ceux-ci devant bénéficier de crédits de fonctionnement ou d’investissement.

Célérité de réalisations de chantiers ou embrouille pour malversations

Sachant que le compte de dépôt « CAP/Gouvernement » a été créé le 25 juin 2012 au profit de la Cellule d’appui à la mise en œuvre des Projets et Programmes (CAP), pour suppléer au financement des activités de cette structure par le PNUD, afin de contribuer à l’amélioration du niveau et de la qualité d’exécution des projets et programmes, d’importantes ressources, d’un montant de 1 343, 577 milliards F CFA, sont décaissées à travers ce compte. Ouvert dans les livres de la Trésorerie générale, il est mouvementé par le Directeur de la DODP.  Sur la période sous revue, un montant de 303, 031 milliards F CFA est décaissé à travers ce compte de dépôt Programme de Défense des Intérêts économiques et sécuritaires du Sénégal (PDIES), créé par décret le 12 janvier 2017. La mobilisation des ressources dudit programme est faite par le biais d’un compte de dépôt ouvert dans les livres de la Trésorerie générale. Ce programme est placé sous l’autorité du Ministre chargé des finances qui peut en confier le pilotage à l’un des membres de son personnel. L’article 5 du décret susvisé prévoit la possibilité d’ouvrir un ou plusieurs comptes au niveau des banques primaires du Sénégal et à l’étranger pour y verser les fonds tirés du compte de dépôt. En outre, selon l’article 6 dudit décret, les dépenses prévues pour le fonctionnement et les activités opérationnelles du programme ne sont pas justifiées, en raison des spécificités liées aux opérations qui y sont effectuées.

La Cour constate qu’en plus des transferts budgétaires, les comptes de dépôt « CAP/ Gouvernement » et PDIES reçoivent des affectations de trésorerie sur autorisation du Ministre chargé des finances. La Cour rappelle, cependant, que les affectations de trésorerie relèvent du domaine de la loi de finances. Au regard de ces dispositions, le Ministre chargé des finances ne doit pas affecter le produit des emprunts à des comptes de dépôt pour y exécuter des opérations non autorisées par la loi de finances.

Acquisition de matériel « fictif »

Relativement à la situation de la trésorerie et de l’endettement, au surfinancement partiellement utilisé pour des dépenses sans couverture budgétaire, le Ministre chargé des Finances a signé, au mois de janvier 2022, au nom de l’Etat du Sénégal, avec International Business (IB) Bank T et International Business (IB) Bank B, une convention de crédit d’un montant de près de 92 milliards F CFA, destiné, selon ladite convention, à l’acquisition de matériel par l’Etat du Sénégal ; sans précision sur la nature dudit matériel. Le montant du crédit, intérêts y compris, est de 105 milliards F CFA, remboursable, au plus tard le 31 décembre 2026, suivant des échéances trimestrielles.
Dans cette opération, l’Etat a payé diverses commissions d’un montant de plus de 919 millions F CFA aux banques, à travers le compte de dépôt « CAP Gouvernement ». Pour cet emprunt, la Cour relève à la fois l’absence d’informations sur la nature et la destination du matériel à acquérir, la contractualisation d’une dette publique en dehors des procédures prévues par la réglementation, le non-versement du produit de l’emprunt dans les comptes du Trésor public ainsi que le remboursement par le Trésor du reliquat de l’emprunt d’un montant de près de 80, 042 milliards F CFA non comptabilisé dans ses livres.

Dans cette même veine, la Cour constate, dans la comptabilité générale de l’Etat, l’alimentation du compte CAP Gouvernement pour un montant de 155 milliards de F CFA, sans couverture budgétaire. Les justificatifs apportés par le Ministère des Finances et du Budget suffiront-ils ?

Aucun faux-fuyant

A ceux de l’actuelle proposition, qui se sont empressés de sortir, pour nier les chiffres de la CC, contrairement à ce qu’ils avançaient naguère, évoquant un rapport non signé, il faut retenir que l’audit est arrêté, conformément aux dispositions du décret n°2013- 1449 du 13 novembre 2013, fixant les modalités d’application de ladite loi organique, par la Chambre des Affaires budgétaires et financières en sa séance du 05 février 2025, il est précisé dans le rapport qu’étaient présents MM. Babacar BAKHOUM, Président de chambre, Mamadou DJITE, Conseiller maître, Mme Khady Ndao DIAGNE, Conseiller référendaire, MM. Abdoulaye SECK, Conseiller, Oumar KA, Conseiller, rapporteur, Cheikh GOUMBALA, Conseiller, Ibrahima GAYE, Conseiller, Massamba DIENG, Conseiller, Jean Christophe DIATTA, Conseiller, Ibrahima Jean SALL, Conseiller, Babacar Ngor DIOP, Conseiller, Mme Teigue MBODJ, Conseillère, avec l’assistance de Maître Malick Mangor NDONG, Greffier. Aussi, suivant ordonnance n°32/2024/CC/CABF/G du 30 Septembre 2024, modifiée par l’ordonnance n°33/2024/CC/CABF/G du 25 octobre 2024, M. Oumar KA, Conseiller, a été désigné pour conduire la mission d’audit. Il a été assisté dans sa mission par MM. Cheikh GOUMBALA, Jean Christophe DIATTA, Ibrahima Jean SALL, Babacar Ngor DIOP et Mmes Teigue MBODJ, conseillers, Faty Mbacké MBAYE et MM. Malick Ngary FAYE, Towall Amrou SOW, Cheikh Tidiane SAMB, Oumar NGOM, Pape Ma FALL, Coumba Ndoffene NDIAYE et Sayide DIAKHATE, Assistants de vérification.

Enfin, que les cassandres et autres pique-assiettes se reprennent. Le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Ousmane Diagne, annonce que des enquêtes seront diligentées et que les responsabilités seront situées à quelque niveau que ce soit. En effet, les faits relatés dans le rapport de la CC, présumés constitutifs de fautes de gestion, de gestions de fait ou d’infractions à caractère pénal, feront l’objet, le cas échéant, de déférés, de référés ou de déclarations provisoires de gestion de fait.

Quoiqu’il en soit l’équipe au pouvoir au Sénégal, mû par le Jub Jubal Jubbanti « Voix de la probité, loin de toute concussion », a promis de s’évertuer à compter sur les ressources propres du Sénégal et celles de sa diaspora et de ses partenaires pour redresser la barre et aligner ce pays dans la transparence, la prospérité inclusive et le développement.