Publié le 05 avril sous le titre: « Tirer le meilleur parti des ressources naturelles pendant la transition énergétique », la 27e édition du rapport Africa’s Pulse de la Banque mondiale dresse un état des lieux peu reluisants de la situation économique de l’Afrique subsaharienne ainsi que des perspectives malgré quelques raisons d’espérer une nouvelle dynamique de croissance. Selon le rapport, cette dernière reste faible, tirée vers le bas par l’incertitude de l’économie mondiale, la sous-performance des plus grandes économies du continent, une inflation élevée et une forte décélération de la croissance de l’investissement. Et face à l’assombrissement des perspectives de croissance et à l’augmentation des niveaux d’endettement, les auteurs du rapport préconisent que les gouvernements africains doivent se concentrer davantage sur la stabilité macroéconomique, la mobilisation des recettes intérieures, la réduction de la dette et les investissements productifs afin de réduire l’extrême pauvreté et de stimuler la prospérité partagée à moyen et à long terme. En ce sens, le rapport souligne que la transition vers des économies sobres en carbone est irréversible et nécessitera l’utilisation de nombreux minéraux dont beaucoup sont abondants dans toute l’Afrique.
Selon les nouvelles estimations de la Banque mondiale publiées dans la dernière édition du rapport Africa’s Pulse qui vient d’être publiée avec les mises à jour économique d’avril 2023, la croissance économique en Afrique subsaharienne devrait ralentir, passant de 4,1% en 2021 puis 3,6 % en 2022 et à 3,1 % en 2023. Cependant, tempèrent les auteurs du rapport, ce ralentissement pourrait toucher à sa fin car dans les détails, la croissance est en hausse de 0,3 point de pourcentage par rapport aux prévisions d’octobre 2022 d’Africa’s Pulse, un relèvement qui reflète une performance plus positive de l’économie mondiale au cours du dernier trimestre de l’année 2022. Selon le rapport, l’économie américaine a fait preuve de résilience, grâce aux récentes mesures politiques et à la baisse de l’inflation, les prix du gaz sont plus bas que prévu en Europe, et on s’attend à une reprise rapide de la croissance en Chine avec la fin de sa politique de «zéro COVID». Malgré ces récentes améliorations, l’activité économique dans la région devrait continuer à ralentir en raison de la persistante de l’atonie de l’économie mondiale, des taux d’inflation en baisse mais qui restent élevés, et des conditions financières mondiales et nationales difficiles dans un contexte d’endettement élevé expliquent l’abaissement de la note. « La croissance est estimée à 3,7 en 2024 et 3,9 % en 2025, ce qui indique que le ralentissement de la croissance devrait atteindre un plancher cette année », met en exergue le rapport qui indique aussi qu’un rebond de la croissance mondiale plus tard dans l’année, l’assouplissement des mesures d’austérité et une politique monétaire plus accommodante dans un contexte de baisse de l’inflation seront les principaux facteurs qui contribueront à l’augmentation de la croissance à l’horizon des prévisions. Selon la Banque mondiale, « les conditions de croissance restent toutefois insuffisantes pour réduire l’extrême pauvreté et stimuler la prospérité partagée à moyen et long terme ». La croissance du revenu par habitant estimée en Afrique subsaharienne à 1,0 en 2022 et 0,6 % en 2023, par exemple, est insuffisante pour avoir un impact significatif sur le double objectif alors que la faible élasticité de croissance de la pauvreté et la pandémie mondiale ont encore contribué à la lenteur de la réduction de la pauvreté dans la région. Il ressort des données contenues dans le rapport, que le taux de pauvreté en Afrique subsaharienne est projeté à 34 % en 2023, par rapport au pic de 35,3 % de la période de pandémie en 2020 alors que la lente reprise du revenu par habitant dans la région, à 1,2 % l’année prochaine et 1,4 % en 2025, ne permet toujours pas d’accélérer la réduction de la pauvreté pour que la région retrouve sa trajectoire d’avant la pandémie.
Faibles performances, risques de surendettement, inflation et baisse des investissements
Selon le rapport, les performances économiques de l’Afrique subsaharienne ne sont pas uniformes d’une sous-région ou d’un pays à l’autre. Ainsi, la croissance du PIB réel de la sous-région Afrique de l’Ouest et centrale est estimée à 3,4 % en 2023, contre 3,7 % en 2022, tandis que celle de la sous-région Afrique de l’Est et australe est estimée à 3,0 % en 2023, contre 3,5 % en 2022. La performance de la région est toujours tirée vers le bas par une croissance à long terme plus faible dans les plus grands pays du continent. L’activité économique en Afrique du Sud devrait encore diminuer en 2023 de 0,5 % en raison de l’aggravation de la crise énergétique, tandis que la reprise de la croissance au Nigéria pour 2023, estimée à 2,8 %, reste fragile à cause de la faiblesse de la production pétrolière et des nombreux défis politiques que confronte la nouvelle administration. « Ces perspectives compliquent la tâche des décideurs politiques de la région qui cherchent à accélérer la reprise après la pandémie, à réduire la pauvreté et à placer l’économie sur une trajectoire de croissance durable », ont estimé les auteurs du rapport.
« La faiblesse de la croissance, combinée aux vulnérabilités de la dette et à une croissance morose des investissements, risque de faire perdre une décennie à la réduction de la pauvreté. Les décideurs politiques doivent redoubler d’efforts pour freiner l’inflation, stimuler la mobilisation des ressources intérieures et adopter des réformes favorables à la croissance, tout en continuant à aider les ménages les plus pauvres à faire face à l’augmentation du coût de la vie. » a déclaré Andrew Dabalen, économiste en chef de la Banque mondiale pour l’Afrique.
Selon les auteurs du rapport, les risques de surendettement restent élevés avec 22 pays de la région qui présentent un risque élevé de surendettement extérieur ou étant en situation de surendettement en décembre 2022. « Les conditions financières mondiales défavorables ont augmenté les coûts d’emprunt et les coûts du service de la dette en Afrique, détournant l’argent des investissements de développement indispensables, et menaçant la stabilité macro-budgétaire », souligne le rapport qui fait cas également « d’une inflation obstinément élevée et une faible croissance des investissements qui continuent de peser sur les économies africaines ». Selon le rapport, bien que l’inflation semble avoir atteint son maximum l’année dernière, elle devrait rester élevée, à 7,5 % en 2023, et dépasser les fourchettes cibles des banques centrales dans la plupart des pays. Par ailleurs, la croissance des investissements en Afrique subsaharienne est passée de 6,8 % en 2010-2013 à 1,6 % en 2021, avec un ralentissement plus marqué en Afrique de l’Est et australe qu’en Afrique de l’Ouest et du centre.
Le Kenya, la Côte d’Ivoire et la RDC : des économies résilientes aux chocs qui peuvent servir d’exemples
En dépit de ces défis dont certains persistants, le rapport note que de nombreux pays de la région font preuve de résilience face aux multiples crises. Il s’agit notamment du Kenya, de la Côte d’Ivoire et de la République démocratique du Congo (RDC), qui ont enregistré des taux de croissance respectifs de 5,2 %, 6,7 % et 8,6 % en 2022. En RDC, par exemple, le secteur minier a été le principal moteur de la croissance en raison d’une expansion des capacités et d’une reprise de la demande mondiale. « La valorisation des richesses en ressources naturelles offre la possibilité d’améliorer la viabilité des finances publiques et de la dette des pays africains », mais le rapport met en garde contre le fait que cela ne peut se produire que si les pays adoptent des politiques adéquates et tirent les leçons des périodes d’expansion et de ralentissement économique passées.
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Dans un contexte de conditions financières mondiales défavorables et de niveaux d’endettement élevés, souligne le rapport, les décideurs politiques africains doivent miser sur leur propre marge de manœuvre pour rétablir la stabilité macroéconomique, renforcer les réformes structurelles afin de promouvoir une croissance inclusive, et mettre en œuvre des politiques qui saisissent la richesse des ressources de la région pendant la transition vers des économies à faible émission de carbone. « Cette richesse naturelle recèle un grand potentiel économique inexploité pour relever les défis budgétaires et stimuler la transformation économique. La transition vers des économies sobres en carbone est irréversible et nécessitera l’utilisation de nombreux minéraux dont beaucoup sont abondants dans toute l’Afrique », relève le document.
« La décarbonisation rapide du monde apportera des opportunités économiques significatives à l’Afrique. Les métaux et les minéraux seront nécessaires en plus grandes quantités pour les technologies à faible teneur en carbone telles que les batteries. Si de bonnes politiques sont mises en place, ces ressources pourraient augmenter les recettes fiscales, accroître les opportunités pour les chaînes de valeur régionales qui créent de l’emploi, et accélérer la transformation économique.», a noté James Cust, économiste principal à la Banque mondiale.
Des pistes pour dégager des marges de manœuvres en tirant profit de la manne qu’offre l’exploitation judicieuse des ressources naturelles
Ainsi, comme le met en avant le rapport Africa-s Pulse, à l’heure de la transition énergétique et de l’augmentation de la demande de métaux et de minéraux, les gouvernements riches en ressources ont la possibilité de mieux tirer parti des ressources naturelles pour financer leurs programmes publics, diversifier leur économie et élargir l’accès à l’énergie. Le rapport indique que les pays pourraient potentiellement plus que doubler les recettes moyennes qu’ils tirent actuellement des ressources naturelles. « Capturer ces ressources fiscales sous forme de redevances et d’impôts, tout en continuant à attirer les investissements du secteur privé, nécessite des réformes et une bonne gouvernance », ont mis en avant les auteurs du rapport pour qui, également, « maximiser les recettes publiques tirées des ressources naturelles offrirait un double bénéfice pour les populations et la planète, en augmentant les recettes fiscales et en supprimant les subventions implicites à la production ».
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De ce fait, préconise la Banque mondiale dans son rapport, les décideurs politiques doivent par conséquent garantir de hauts niveaux dans l’exercice par le gouvernement de ses responsabilités et dans le contrôle par le public de la taxation des ressources et des investissements dans ces dernières de façon à maximiser l’impact de ces ressources sur le développement. Des mesures telles que la divulgation des contrats, l’adhésion à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) ainsi que la protection et l’élargissement de l’espace civique peuvent contribuer à une meilleure gouvernance des ressources recommande les auteurs d’Africa’s Pulse pour qui, une transition équitable pour l’Afrique dépendra essentiellement de l’exploitation réussie des avantages économiques des ressources pétrolières, gazières et minérales, notamment de la bonne gouvernance et d’une gestion macrofinancière saine des recettes tirées des ressources, tout en se préparant à un avenir sobre en carbone. « Une gestion et une gouvernance efficaces des richesses en ressources naturelles peuvent débloquer d’importantes opportunités de création d’emplois, de valeur ajoutée et d’investissements dans le développement humain » poursuit le rapport qui ajoute que « compte tenu de l’abondance des ressources naturelles, cette richesse peut jouer un rôle central dans la transformation de l’avenir économique de l’Afrique« .