Cameroun: un nouveau financement colossal de 30 milliards de dollars qui relance les inquiétudes sur l’exposition du pays aux prêts chinois

Paul Biya et Xi Jinping, le 31 août 2018 à Pékin. (Crédit : Getty Images).

Le gouvernement camerounais et le Fonds d’investissement chinois Silk Road Investment Fund ont signé la semaine dernière à Yaoundé, un mémorandum d’entente (MoU) en vertu duquel, le partenaire chinois s’engage à mobiliser 30 milliards de dollars soit près de 18.300 milliards de francs CFA pour la réalisation des projets à fort potentiel dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie nationale de développement du Cameroun (SND 30). Une bonne affaire pour le gouvernement certes qui va lui permettre d’accélérer la mise en œuvre de sa stratégie de développement mais qui expose un peu plus, et comme le passé, le pays à la dette chinoise. Cette dernière qui pèse déjà beaucoup dans son niveau d’endettement commence à inquiéter, Pékin étant depuis des années, le premier créancier de  Yaoundé.

Ce n’est pour le moment qu’un effet d’annonce avec la signature en grande pompe, le 29 mai 2023 au cabinet du Premier ministre, entre Alamine Ousmane Mey, le ministre camerounais de l’Economie, et Zhu Chunyu, le président du fonds d’investissement chinois Silk Road Investment Fund (SRIF) d’un accord qui va permettre au partenaire chinois de débloquer 30 milliards de dollars, environ 18,337 milliards de FCFA,  pour la réalisation des projets de développement au Cameroun dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie nationale de développement à l’horizon 2030 (SND2030). Aucun autre détail de taille n’a été dévulgué et le ministre camerounais s’est borné à indiqué que la signature de cet accord est  «le début d’une démarche concertée entre les parties pour l’identification des projets à fort potentiel provenant tant du secteur public que privé ». Selon la même source, le fonds d’investissement va prochainement s’installer au Cameroun et il bénéficie du soutien de diverses banques et institutions financières chinoises de renommée notamment Eximbank China, China Development Bank et China Construction Bank.

Du financement pour la Stratégie nationale de développement (SND30)

La signature de cette convention de mobilisation de fonds constitue une bonne nouvelle pour la mise en œuvre de la Stratégie nationale de développement (SND30) surtout en ces moments où l’accès aux financements internationaux constituent un parcours de combattant pour bien des économies en développement et notamment africains. Ce fonds a été créé par le président chinois à travers son initiative de la route de la soie pour permettre aux pays bénéficiaires de disposer de fonds pour les accompagner dans leur développement. Cet accord de financement chinois n’est qu’une partie des 88.000 milliards de FCFA dont le Cameroun a besoin pour implémenter sa Stratégie nationale de développement (SND30). Le montant initial de 30 milliards de dollars soit environ 18.337, 2  milliards de FCFA annoncé pour la réalisation des représente à lui seul plus de 21% des besoins financiers estimés dans le cadre des objectifs de la SND à l’horizon 2030 c’est à dire d’ici sept (07) ans. Un véritable coup de boost donc pour en accélérer la mise en œuvre des grands projets qui se concentrent particulièrement dans le secteur des infrastructures (31,7%),  du secteur rural (23,8%), de la santé (18,5%) et des industries et services (14,1%). A travers cette annonce, le gouvernement camerounais réussit le joli coup d’attirer dans le pays des fonds additionnels chinois dans le cadre de l’initiative « On Belt, One Road » (OBOR) ou « la route de la soie » du Président Xi Jinping. Le Silk Road Fund est, en effet,  un fond souverain lancé en 2014 par le Président chinois pour lequel Beijng avait annoncé une mise initiale de 40 milliards de dollars et qui n’a depuis, cessé de s’étendre avec des prises de participations dans des entreprises stratégiques et de grands projets d’infrastructures dans plusieurs pays.

Le spectre d’une surexposition à la dette chinoise  

Cette arrivée massive de nouveaux financements chinois relance toutefois le débat sur la très grande exposition de l’Etat du Cameroun à la dette chinoise. L’empire du milieu est d’ailleurs le premier créancier bilatérale avec un encourt qui a atteint, à fin mars 2023 et rien que pour cette année, 2.106 milliards de la Caisse autonome d’amortissement (CAA), la dette du Cameroun auprès de la Chine au 1er  trimestre de l’année en cours s’élève à 2 106,5 milliards de francs CFA CFA dont 3,3 milliards  de l’Etat chinois et 2 103,4 milliards  provenant d’Eximbank China. L’enveloppe de la Chine représente de ce fait, 64,5% de la dette bilatérale établie à 3 266 milliards au cours de la période sous-revue. De manière générale, au 31 mars 2023 et selon toujours les données de la CAA,  la dette publique du Cameroun se situe à 12 203 milliards de FCFA en hausse de 5,2% en glissement annuel, ce qui représente 43,7% du PIB. Un niveau, selon la Caisse, qui est  « conforme avec les objectifs de la Stratégie d’endettement à moyen terme(SEMT) 2023-2025 qui vise entre autre à maintenir le taux d’endettement inférieur à 50% du PIB en dessous du seuil fixé dans le cadre de la convergence sous régionale (Cemac) à 70% du PIB ».

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Cependant, la première économique de l’Afrique centrale n’est pas épargnée par un risque de surendettement et surtout d’exposition à la dette chinoise, un spectre qui guette le pays depuis deux ans et que la pandémie de la Covid-19 et les autres chocs sont venus depuis amplifiés. Dans son rapport 2021 sur les perspectives économiques de l’Afrique, la Banque africaine de développement (BAD) avait déjà alerté sur cette situation. La Chine détenait alors et  à elle seule, 61,3% de la dette bilatérale du Cameroun, ce qui  correspondait alors 27,4% de la dette totale du pays. Il faut dire que cette grosse dépendance du Cameroun vis-à-vis des prêts chinois est apparue au début des année 2010, avec le lancement dans le pays, dès 2012, de grands projets d’infrastructures dits structurants. notamment a construction des barrages hydroélectriques, des ponts et routes ou le port de Kribi… Des projets qui ont été en grande partie financés par la Chine, notamment la banque publique Eximbank China. L’exposition du Cameroun à la dette chinoise qui a atteint un niveau inquiétant a été tel qu’en juillet 2019, la banque chinoise a dû restructurer la dette à elle due par le pays pour desserrer l’étau des remboursements. La banque publique chinoise d’import-export a ainsi accepté de rééchelonner 70 % de la somme, intérêts non compris,  que devrait lui rembourser le Cameroun sur la période allant de juillet 2019 à mars 2022. Le Cameroun a été même placé sur la liste des pays « en situation de surendettement ou jugés à haut risque de surendettement » et avec le retour de l’appétit de plus en plus grandissants des prêts chinois, le spectre de cette surexposition dans un contexte de risque de surendettement refait encore surface pour les investisseurs et les partenaires financiers du pays.

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