INTERVIEW– Madi Sakandé : « Entreprendre dans un pays étranger c’est comprendre son système de fonctionnement et ses réalités entrepreneuriales »

Madi Sakandé, entrepreneur et fondateur de la société New Cold System basée à la fois en Italie et au Burkina Faso. (Crédit : DR).

L’Europe abrite une forte diaspora en provenance d’Afrique subsaharienne, dispersée sur divers pays. Cette diaspora au profil différent comporte à la fois de hauts diplômés et d’immigrés moins qualifiés dont une bonne partie évolue dans l’informel de l’économie au niveau de leurs pays d’accueil. De sorte que des cas de réussites fulgurantes d’entrepreneurs issus de la diaspora africaine sont rares. Dans cette interview par Africa Income, Madi Sakandé, entrepreneur et immigré en Italie depuis 26 ans, nous décortique les réalités qui se cachent derrière cette tendance.

Madi Sakandé : Je suis Madi Sakandé, je suis italien d’origine burkinabé. Je vis en Italie depuis 26 ans. Ce qui fait dans ma vie une période de près de 51 ans partagée entre les deux pays, à savoir l’Italie et le Burkina Faso. Je suis entrepreneur et fondateur de la société New Cold System basée à la fois en Italie et au Burkina Faso. Au-delà de cette fonction, je suis actuellement le président de l’Union des Associations Africaines des Acteurs de la Réfrigération et de la Climatisation (U-3ARC). Je suis aussi un consultant international des Nations Unies et travaille comme consultant et expert pour le PNUE, le PNUD et l’ONUDI sur des projets de formation dans le domaine du froid. Je suis sollicité parce que je suis formateur.

Vue les nombreuses étapes franchies ou selon votre expérience d’entrepreneur, que conseilleriez-vous à un africain de la diaspora qui a envie d’entreprendre dans un pays européen afin de mieux réussir son projet ?

Pour entreprendre, il faut d’abord avoir des connaissances spécifiques sur le domaine dans lequel l’on souhaite se lancer. C’est la base. Si l’entrepreneur n’a pas défini clairement ce qu’il a à vendre ou encore si l’idée ne fonctionne pas, c’est déjà un problème. Si vous avez une bonne idée et votre bonne idée c’est d’aller vendre l’eau salée à la mer, vous comprenez que ça ne va pas fonctionner. Donc il est important de savoir dans quoi vous allez entreprendre. J’attire aussi l’attention sur l’importance de la légalité. La majeure partie de nos compatriotes africains qui sont en Europe ont tendance à entreprendre dans le secteur informel. C’est un domaine où la plupart des acteurs travaillent dans les petits commerces. C’est le métier qu’ils ont appris en Afrique. Vous conviendrez avec moi que la plupart de ceux qui font certains métiers n’ont pas eu la chance de partir à l’école comme on les nomme au Sénégal, « les modou modou ». Le fait de ne pas aller à l’école fait que tout ce qui est administratif leur fait peur et ils imaginent que le basculement dans le formel va leur coûter. Ces aspects font que ces entrepreneurs de la diaspora africaine ne formalisent pas leurs activités, d’autant plus qu’en Europe toutes les démarches de formalisation occasionnent des dépenses. Il faut donc une formation de base pour commencer à parler d’entreprenariat en Europe. Le fait d’être dans l’informel est prisé. Moi je parle du cas de l’Italie, beaucoup de Sénégalais ou même beaucoup de Burkinabé ici en Italie sont des gens qui viennent directement du village et bon nombre n’ont pas eu la chance d’aller à l’école. Après plusieurs années, ils ne parlent toujours pas bien l’italien donc comprenez déjà qu’il y a un problème existentiel dans le milieu où ils sont. Car mettre sur pieds une entreprise dans un pays, c’est comprendre d’abord son système de fonctionnement et les réalités entrepreneuriales. Il faut aussi savoir s’entourer de structures compétentes comme des bureaux d’études, de comptabilité, de fiduciaires et intégrer des associations et congrégations de votre secteur d’activités. Vous constaterez que les entreprises informelles sont généralement créées par ceux qui ne sont bien informés des opportunités qu’offrent le formel.

Toujours dans l’entreprenariat, l’on reproche aussi à ceux qui ont fait des études et devenus cadre en Europe de rester salariés. De ceux qui tentent l’aventure entrepreneuriale, les succès visibles sont rares. Partagez-vous ce point de vue ?

Il existe une catégorie d’immigrés de la diaspora africaine diplômée qui préfère travailler dans le salariat. Certains n’essaient pas d’entreprendre pour la simple raison qu’ils ont étudiés des filières, comme la littérature qui ne les poussent pas dans cette direction. Par exemple quelqu’un qui a étudié la littérature, il va vendre quoi à qui ? Il faut avoir quelque chose à vendre, un service ou un produit. Sans l’un ou l’autre, il est impossible d’ouvrir une entreprise. Vous allez juste aller travailler pour quelqu’un ou une société qui va exploiter votre talent. L’origine du problème trouve ses sources en Afrique (surtout francophone) où les systèmes éducations ne préparent pas les étudiants à l’entreprenariat. Une réalité qui doit pousser à un changement du système éducatif africain surtout francophone. Les anglophones se sont mieux adaptés avec des formations continues de courte durée.

La diaspora africaine a-t-elle des contraintes qui lui sont spécifiques quand elle veut entreprendre en Europe ? Vous qui avez expérimenté l’entreprenariat en Europe, rencontrez-vous des problèmes spécifiques à la diaspora africaine ?

Il faut savoir que les problèmes qui existent pour la diaspora de façon spécifique sont en premier lieu de nature psychologique. Lorsque vous arrivez dans un environnement où vous êtes difficilement acceptés pour ce que vous êtes, l’effet est garanti. La seconde contrainte est la mauvaise compréhension de la vie de l’immigré. En Afrique, les familles ont toujours pensé que l’immigré est un homme riche, sa richesse est mesurée par rapport au nombre d’années d’exil. Le soubassement est une dépendance sociale, faisant que l’immigré a des difficultés à se construire des réserves financières nécessaire au démarrage d’une entreprise. Cette mentalité lui met en difficulté.

Quels conseils donneriez à cette diaspora prête à entreprendre, d’autant plus que très peu de success stories dans l’entreprenariat de cette diaspora est visible ? 

Le monde de l’entreprenariat est difficile, comparable au domaine militaire où c’est le terrain qui détermine la manœuvre à tenir. Mais comme conseils, je dirais qu’il faut apprendre son métier, en ayant une idée précise du service ou du produit à vendre. Il s’agit d’avoir des idées qui fonctionnent, après l’argent va faciliter le processus. Le succès nécessitera un travail acharné. Car entreprendre, c’est un choix de vie différent de celui de l’employé. L’entrepreneur travaille pratiquement toute sa vie, même quand il dort, il réfléchit à résoudre des problèmes, à avancer. L’entrepreneur doit aussi être patient et ne pas être obsédée par l’idée de gagner de l’argent rapidement. Un autre point souvent négligé est la tenue d’une comptabilité rigoureuse. Des jeunes viennent me voir avec leur idée de projets, mais leur business plan n’inclut ni salaire, ni coût pour eux. Ce qui en mon sens signifie que tout l’argent du projet leur est destiné pour d’autres fins. Sur ce point, la formation est primordiale. Il est important d’apprendre à gérer des entreprises avant de se lancer. Le cas échéant, c’est l’entrepreneuriat informel où le marchant va au marché avec quelques marchandises qu’il revend pour de maigres gains utilisés rapidement pour sa survie quotidienne. Et cela sans prendre en compte le coût de son transport, du logement et de son temps de travail non rémunéré.

Propos recueillis par Maimouna DIA

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