Éthiopie: après un lancement contrarié, le programme de privatisation à nouveau relancé

les autorités éthiopiennes sont en train de relancer et même d'accélérer la libéralisation de l'économie du pays. L'enjeu, c'est d'attirer de plus en plus d'investissements dans le pays qui fait face à une crise économique des plus aigues ces dernières années. (crédit : Dr).

Annoncé en grande pompe en 2018 par le premier ministre Abiy Ahmed à son arrivée au pouvoir, le programme de privatisation des principales entreprises publiques du pays a eu du mal à prendre forme malgré ses enjeux stratégiques pour la modernisation de l’économie du pays. La pandémie de la Covid-19 et surtout les répercussions du conflit dans la région du Tigré ont freiné le processus qui a été enclenché avec la privatisation d’Ethio Telecom, la compagnie publique de télécommunications. Depuis quelques mois pourtant, le train de réforme a été remis sur les rails et pourrait même s’accélérer d’autant plus que le gouvernement n’a pas d’autres alternatives pour relancer l’économie du pays qui plombent sous le poids d’un surendettement alarmant.

La privation d’Ethio Telecom, la compagnie publique de télécommunications, sera assurément le  test grandeur nature du programme de privatisation annoncée par les autorités éthiopiennes dans le cadre du programme de réformes destinées à relancer l’économie du pays et dont l’ouverture au secteur privé du capital de plusieurs fleurons de l’économie du pays en constitue la pierre angulaire. Un processus de libéralisation qui a commencé dans le secteur des télécoms avec une première licence télécoms privée accordée au  consortium Global Partnership for Ethiopia dès 2019, soit une année après l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Abiy Ahmed et l’annonce de son programme de réformes. Après l’attribution, en mai 2021, d’une seconde licence de téléphonie mobile accordée à l’opérateur Kenyan Safaricom pour 850 millions de dollars, qui est venu définitivement casser le monopole de l’opérateur national, le gouvernement annoncé, en septembre 2021, sa décision d’ouvrir à des privés, le capital d’Ethio Telecom et qui a été aussitôt suspendue quelques mos plus tard, en décembre de la même année pour être reportée pour mars 2022. Il a fallu pourtant attendre novembre 2022, pour voir le processus de nouveau relancer et l’Etat a lancé un appel à propositions pour la cession de 40% du tour de table d’Ethio Telecom à une entreprise privée. Il faut dire qu’entre temps, la pandémie de Covid-19 puis le déclenchement du conflit du Tigré, dans le nord du pays, ont eu raison des ambitions d’Addis Abeba qui avait d’ailleurs justifiée ce report par « les récents développements et changements macroéconomiques rapides dans le monde et dans le pays».

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Au lendemain de la signature de l’accord de paix avec les rebelles du Tigré, en novembre dernier, ainsi en la faveur de la reprise post-Covid et en dépit de la conjoncture internationale encore difficile, le gouvernement a annoncé, le 9 février 2023, l’accélération du processus de privatisation partielle d’Ethio Telecom et selon l’annonce faite par le ministère des Finances, c’est 45% du capital de l’opérateur publique qui sera mis en vente en raison notamment de « la solide performance financière  de l’entreprise».

Un processus de privatisation pris en otage mais relancé pour sortir de la crise

Les péripéties qu’a connu le processus de privatisation partielle d’Ethio Telecom illustre à lui seul les déconvenues qu’a connu le programme de réformes et notamment de libéralisation prônée depuis 2018 par Addis Abeba. L’opérateur public de télécommunications n’est pas d’ailleurs le seul à connaitre ces déconvenues. Un temps, les autorités éthiopiennes alors en quête de liquidités et de devises, avaient envisager d’ouvrir le capital du pavillon aérien national, Ethiopian Airlines. Le projet avait été finalement mis en stand by en raison de la bonne santé financière ainsi que de la rentabilité du fleuron du marché aérien continental.  

Malgré ces couacs pourtant, les autorités éthiopiennes sont en train de relancer et même d’accélérer la libéralisation de l’économie du pays. L’enjeu, c’est d’attirer de plus en plus d’investissements dans le pays qui fait face à une crise économique des plus aigues ces dernières années. En mars 2022, alors que la situation économique du pays, le gouvernement éthiopien avait lancé un fonds souverain, Ethiopia Investment Holdings (EIH), qui, par le biais de la vente d’entreprises et d’actifs publics, visait à attirer quelques 150 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (IDE). Selon les déclarations de Mamo Mihretu, à l’époque directeur général, le fonds gérera des actifs dans plusieurs secteurs notamment les télécommunications, la finance, l’agro-industrie, l’exploitation minière, les banque  ou la logistique. Des secteurs qui ont été longtemps dominés par l’État et qui recèle d’importants potentiels qui attisent la convoitise des investisseurs privés internationaux. « La faible densité téléphonique en Éthiopie y met en évidence l’énorme potentiel inexploité du secteur des télécommunications. L’infrastructure robuste de la société, associée à ses solides performances financières, offrira un avantage concurrentiel significatif à tout investisseur », miroite par exemple le ministère des Finances pour attirer les investisseurs dans le secteur des télécoms.

Relancer une croissance en berne

C’est justement sur ces opportunités et autres avantages stratégiques que les autorités comptes pour relancer l’économie du pays.  Deuxième pays le plus peuplé d’Afrique (plus de 114 millions d’habitants), l’Éthiopie a connu une croissance soutenue d’environ 10 % par an en moyenne au cours de la dernière décennie. Les principaux moteurs de la croissance ont été la production agricole et les services, soutenus par l’aide étrangère au développement. Cependant, en raison de la pandémie de COVID-19, de l’invasion de criquets pèlerins et du conflit dans la région du Tigré, la croissance économique a ralenti pour atteindre environ 2 % du PIB en 2021, contre 9 % en 2019.  En 2022, la croissance du PIB s’est certes accéléré modérément à 4 % en 2022, grâce notamment à l’assouplissement des restrictions liées au Covid-19 et à la reprise en cours des principaux partenaires commerciaux.  « Une dynamique qui devrait se maintenir cette année et même s’accélérer en raison de l’atténuation des risques liées à la persistance du conflit et l’augmentation des niveaux de la dette extérieure », notent les experts.

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Malgré ces vents favorables, la situation économique du pays est assez contrastée. La forte croissance économique de l’Éthiopie a été stoppée par la crise du coronavirus, une infestation de criquets pèlerins et un conflit de plus en plus violent. « Alors que le plan de soutien mis en place en réponse à la crise, et en 2021 l’augmentation des dépenses liées aux conflits et du service de la dette, ont conduit à la détérioration des finances publiques », note une analyse de Coface, le déficit public s’est  ainsi creusé de -2,8 % du PIB en 2020 à -3 % du PIB en 2021 pour atteindre -3,5 % du PIB en 2022. Le conflit du Tigré a, en effet, affecté les relations avec les principaux créanciers extérieurs avec notamment la suspension des programmes du FMI et de la Banque mondiale, ce qui fait que le déficit devrait donc être financé principalement par des sources domestiques. Selon le FMI, la dette publique est passée d’environ 55,4 % du PIB en 2020 à 57,1 % du PIB en 2021 et devrait  se hisser à  60 % du PIB en 2022. Par ailleurs, la dépréciation du birr pèse sur la dette publique extérieure. Présentant un risque élevé de surendettement, l’Éthiopie a demandé aux créanciers du G20 et du Club de Paris de bénéficier d’une opération de dette dans le cadre commun du G20. Le pays a bénéficié d’une suspension des paiements du service de la dette mais malgré les réformes annoncées, le processus de restructuration de la dette prend du temps. Poussée par la hausse des prix alimentaires et la dépréciation du birr et exacerbée par le conflit, l’inflation a grimpé à 25,2 % en 2022 et devrait s’améliorer à  22% en 2022 et 20 % en 2023, restant toutefois bien au-dessus de l’objectif à un chiffre de la banque centrale.

Des réformes pour libéraliser l’économie qui vont accélérer le processus de privatisation

Pour sortir de cette situation, les autorités entendent poursuivre le plan de réforme économique interne, qui consiste en un mélange de politiques macroéconomiques, structurelles et sectorielles, pour remédier aux vulnérabilités et s’attaquer aux goulots d’étranglement structurels qui entravent l’activité du secteur privé. Par ailleurs, de nombreux projets seront lancés dans le cadre du troisième Plan de Croissance et de Transformation 2021-2025. Selon le FMI, à moyen terme, les réformes macroéconomiques et structurelles devraient conduire à une réduction de la dette publique, à une diminution des vulnérabilités externes et à une croissance, des investissements et des exportations plus forts. Néanmoins,  poursuit la même source, ces perspectives peuvent être remises en cause par des risques baissiers, en particulier l’opposition nationale aux réformes, la montée du protectionnisme dans le monde, une croissance mondiale plus faible que prévu et les chocs liés au climat.

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Afin d’accompagner ce programme de réformes structurelles, le gouvernement éthiopien a repris depuis quelques mois, les négociations avec le FMI. Une équipe du fonds vient d’ailleurs de séjourner, en ce début du mois d’avril, dans la capitale éthiopienne. Selon les premières informations, un accord de soutien pourra être conclu d’ici la fin de l’année et permettra au gouvernement d’accélérer son programme de privatisation qui va concerner plusieurs entreprises publiques du pays et de s’orienter vers une économie de marché. En effet, malgré les annonces de privatisation de certains fleurons de l’économie nationale,  le secteur public détient toujours un rôle prédominant dans l’économie, avec des secteurs tels que les télécommunications, les services financiers et d’assurance, les transports aériens et terrestres, le transport et le commerce de détail qui sont considérés comme stratégiques et pourraient donc être mises à l’écart du processus de privatisation.

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C’est ce qui du reste suscite les inquiétudes des investisseurs mais aussi la méfiance des experts et agences de notation sur la capacité des autorités à aller au bout de leurs réformes. En ce sens, certains analystes mettent en avant le fait que malgré l’intérêt grandissant auprès d’investisseurs privés internationaux que suscitent les larges étendues de terre arables  que recèle le pays, les autorités ont récemment  modifié la constitution du pays et en vertu des nouvelles dispositions, l’État possède toutes les terres et ne fournit que des baux à long terme aux locataires. De quoi refroidir l’ardeur de potentiels investisseurs dans d’autres secteurs où l’Etat compte toujours garder un certain contrôle comme c’est le cas avec Ethio Telecom, ce qui risque d’atténuer les retombées attendues du processus de libéralisation de l’économie éthiopienne et principalement de privatisation des entreprises publiques stratégiques. Mais confronté à une crise sans précédent avec une économie à bout de souffle, le gouvernement n’ a véritablement pas le choix pour renflouer ses caisses et attirer davantage d’IDE.

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