Tribune : Méga-raffinerie Dangoté – comment l’infrastructure propulse le Nigéria dans une nouvelle ère énergétique

Mahaman Laouan Gaya et Aliko Dangote. (Crédit : Dr)

Située sur un terrain de 2635 hectares dans la zone franche de Ibeju-Lekki, dans l’Etat de Lagos au Nigéria, la « Dangote Petroleum Refinery and Petrochemicals » (DPRP) fraichement inaugurée est la plus grande raffinerie d’Afrique, la 6ème au monde, mais aussi la plus grande raffinerie de pétrole à « train unique » au monde. L’usine dispose d’un système unique intégré de distillation atmosphérique et sous-vide de pétrole brut. Une fois l’ouvrage pleinement opérationnel, il est prévu que le pays n’importera plus de produits pétroliers et le gouvernement nigérian va lever ses couteuses subventions aux importations de l’essence. Mais en matière de logistique, il serait difficile de mesurer les obstacles et les contraintes que les équipes d’Aliko Dangote ont dû soulever pour faire aboutir ce projet… Pour Africa Income, Mahaman Laouan Gaya, Ingénieur Pétrochimiste, Ancien Ministre de la République du Niger, Ancien Secrétaire Général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO) revient sur les challengers surmontés ainsi que les tenants et aboutissants de ce Méga-projet dans cette tribune.         

Par Mahaman Laouan Gaya, Ingénieur Pétrochimiste, Ancien Ministre de la République du Niger, Ancien Secrétaire Général de l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO)                      

La « Dangote Petroleum Refinery and Petrochemicals » (DPRP), a été inaugurée le 22 Mai dernier sur un terrain de 2635 hectares dans la zone franche de Ibeju-Lekki, dans l’Etat de Lagos au Nigéria. Je rappelle que les travaux de construction de cette raffinerie ne sont pas encore terminés ; le Président Muhammadu Buhari devant quitter le pouvoir le 29 mai 2023, a souhaité lui-même inaugurer en grande pompe ce méga projet. Selon le rapport de la « Nigerian Midstream and Downstream Petroleum Regulation Authority (NMDPRA) – Autorité Nigériane de Régulation des secteurs Amont et Intermédiaire Pétroliers« , la raffinerie de Dangote doit au préalable passer le test obligatoire d’acceptation technique (TAT) avant de démarrer ses activités. Étant donné que cette procédure prend techniquement, beaucoup de temps, l’exploitation de cette raffinerie ne pourrait pleinement commencer qu’en 2024. Aujourd’hui, on estime à près de 20 milliards dollars US le coût total des investissements et que 50% de ces investissements l’ont été sur fonds propres du Groupe Dangote et les autres 50% sur emprunts bancaires ; 70% des emprunts bancaires sont à ce jour remboursés. L’usine produira quotidiennement, 53 millions de litres d’essence, 34 millions de litres de diesel, 2 millions de litres de Jet A1-aviation, du bitume et des produits de la synthèse pétrochimique (tous conformes aux spécifications Euro V). Elle a, en annexe une usine pétrochimique de production de polypropylène (900.000 tonnes) et une usine de fabrication d’engrais. Cette unité de fabrication d’engrais disposera de deux (2) lignes de production, chacune produisant chaque jour 2200 tonnes d’ammoniac et 4000 tonnes d’urée granulée. Pour son fonctionnement, elle va disposer d’une centrale électrique de 435 MW. Les raffineries de pétrole nécessitant beaucoup d’eau (pour alimenter les systèmes de refroidissement…), il a été prévu 177 réservoirs d’une capacité de 4,742 milliards de litres. Elle sera approvisionnée en pétrole brut par la plus grande infrastructure d’oléoducs sous-marins du monde (1100 km de long). 

« En matière de logistique, beaucoup ne sauront peut-être jamais ce que Aliko Dangote a dû endurer pour faire aboutir ce projet. »

En matière de logistique, beaucoup ne sauront peut-être jamais ce que Aliko Dangote a dû endurer pour faire aboutir ce projet. Sa construction a exigé du matériel qui pesait environ 3000 tonnes, alors que la capacité des ports du Nigéria (y compris Lagos-Apapa) est comprise entre 200 et 250 tonnes. Pour ce faire, il a fallu procéder à l’aménagement d’un nouveau port pour amener directement les cargaisons surdimensionnées à proximité du site, mais aussi faciliter l’approvisionnement en pétrole brut et l’exportation des produits issus de la raffinerie. Pour le transport terrestre du matériel et équipements du port jusqu’au site de la raffinerie, il a fallu des travaux de construction de routes spéciales. Notons que la plus grande grue au Nigéria a une puissance de 650 tonnes, alors qu’il fallait une grue de 5000 tonnes pour les besoins de soulèvement de certains équipements. Pire encore, il n’y avait alors que deux (2) grues de ce type d’une capacité de 5 000 tonnes dans le monde, et qui étaient toutes en service ; alors, au lieu de louer une pour 300.000 dollars US par jour, Aliko Dangote a préféré carrément en acheter. À l’intérieur de l’usine même, il a été construit environ 126 km de routes bitumées. Pour ce qui est des ressources humaines, Alhaji Aliko Dangote a mis en formation neuf cents (900) jeunes ingénieurs en technologie de raffinage de pétrole à l’extérieur du pays, six (6) ingénieurs en mécanique formés à l’Université GE en Italie, cinquante (50) ingénieurs en process formés par Honeywell/UOP et cinquante (50) cadres en management. Lorsqu’elle sera pleinement opérationnelle, elle fournira 135.000 emplois permanents. Sur place, il y a plus de 200 bâtiments construits pouvant accueillir environ 50.000 employés et leurs familles.

Les défis énergétiques du Nigéria et de ses voisins liés à la mise en service de la DPRP

Lorsque la raffinerie sera pleinement opérationnelle, il est prévu que le Nigeria n’importera plus aucun produit pétrolier et aussi qu’elle permettra au gouvernement nigérian de lever une bonne fois pour toutes les très couteuses (et inutiles) subventions aux importations de l’essence. Au fil des années, ces subventions ont fait naître et entretenu, un important lobby des tradeurs-spéculateurs d’essence qui a délibérément œuvré à la faillite des quatre (4) raffineries publiques gérées par la NNPC (1 à Kaduna, 2 à Port Harcourt, et 1 à Wari). Lors de la cérémonie d’inauguration de la DPRP, le Directeur Général de la  » Nigeria National Petroleum Corporation  » (NNPC), Mr Mele Kyari disait d’ailleurs qu’il « est très, très difficile pour l’Etat de continuer à payer chaque année 4800 milliards de nairas (soit 10,33 milliards dollars US de subvention par an !) ». Tous les grands candidats aux dernières élections présidentielles avaient, durant la campagne, promis qu’une fois élu, ils suspendraient les subventions aux importations de l’essence. Comme il fallait s’y attendre, dans son discours d’investiture le lundi 29 mai 2023, le nouveau Président Ahmed Tinubu annonçait la suppression totale de cette subvention, qui il faut le rappeler est un système qui nourrit la corruption et assèche les caisses publiques. Dès le 30 mai 2023, la décision fut officiellement confirmée et elle devrait prendre effet ce 1er juillet 2023. Le carburant devrait alors passer du prix officiel à la pompe de 185 nairas (0,37 Euro) à 550 nairas (1,11 Euro). Mais dès l’annonce de cette mesure, les prix ont tout de suite flambé au point d’atteindre le plafond de 700 nairas (1,41 Euro) le litre à Abuja. Si cette tendance perdure, il est fort à craindre que l’essence en vente dans les pays limitrophes aille frauduleusement se retrouver sur les marchés noirs au Nigeria, et l’occasion est toute trouvée par certains gouvernements pour justifier une augmentation artificielle du prix du litre d’essence dans leur pays. Les voisins producteurs de pétrole (Niger, Tchad, Cameroun), avec les insignifiantes productions de leurs raffineries risqueraient de se trouver en situation de « panne sèche ». Pour combien de temps ? 

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Toutefois, il ne fait aucun doute que la subvention du carburant a un impact très négatif sur les finances de l’Etat fédéral nigérian et qu’il aurait été fiscalement irresponsable de la conserver indéfiniment. Cette levée de subvention crée déjà un immense mécontentement chez les consommateurs, même si par ailleurs, elle permettra d’arrêter définitivement la corruption et la spéculation sur les produits pétroliers et les finances fédérales de gagner annuellement 4800 milliards de nairas (soit environ 9,70 milliards Euros). A sa pleine capacité (650.000 b/j), la DPRP couvrirait largement la demande totale du Nigeria en produits raffinés (450.000 b/j), et comme il est aussi question de réhabilitation des quatre (4) raffineries nationales en souffrance (capacités cumulées de 445.000 b/j), en sus des autres raffineries modulaires privées (de très petites capacités) du pays (la Walter Smith refinery, la OPAC refinery, la Niger Delta Petroleum refinery et la Edo Petroleum refinery), la production totale du pays en produits raffinés doublera la consommation nationale. Le lundi 22 Mai 2023 à la tribune de la cérémonie d’inauguration de la raffinerie, Aliko Dangote a promis de « reproduire ce que le groupe Dangote a déjà réalisé sur le marché du ciment et des engrais, en faisant passer le Nigeria d’importateur à exportateur net ». Pour l’homme le plus riche d’Afrique, c’est une question de détermination et d’obstination, imprégnée d’un courage qui porte aujourd’hui ses fruits.

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